“L’Ardenne, ma famille” – Entretien avec Pascale Leyder
Pascale Leyder a accepté de répondre à quelques questions sur son ouvrage, L’Ardenne, ma famille.
Comment vous est venue l’idée d’écrire cet ouvrage ? De mêler à la fois histoire personnelle et Histoire ?
Mes parents sont décédés en 2006 et 2008.
En 2010, alors que nous sommes rassemblés mes frères et sœurs et moi lors d’une fête familiale, nous commençons à évoquer les hauts-faits de nos ascendants, tels qu’ils nous ont été transmis par nos parents.
Chacun y va de sa petite histoire et livre ses commentaires en plaisanteries que nous sommes seuls à comprendre. Notre complicité est intacte, et nos parents nous manquent.
Ma sœur, me donnant un coup de coude, s’exclame : « Il faudrait écrire tout ça ! » Elle plaisante ? Jamais je n’oserais. Notre frère Serge a déjà établi toute la généalogie des LEYDER-JACOB. Et puis, il faut multiplier par neuf tous nos souvenirs et cela en fait, des histoires à raconter.
Cependant… Il est vrai que je ressemble à Marie Demol, ma grand-mère paternelle ; que notre frère Daniel est le portrait craché de l’arrière-grand-père Félicien ; que celui-ci tient beaucoup de Papa, celle-là de Maman… L’idée d’écrire l’histoire de notre famille reste dans ma tête.
Je veux raconter tout cela à Gaël, mon fils…. Je veux écrire tout cela pour toute ma famille. Je ne veux pas d’une légende mais d’une histoire « vraie » qui devienne la mémoire de notre famille.
J’ai déjà commencé, sans le savoir ! J’ai dans mon ordinateur portable un dossier : « Récits de vie ». Je réfléchis. J’élabore un plan : recueillir les témoignages oraux de nos oncles et tantes, consulter les Archives, relier les événements entre eux, suivre une logique de recherche historique…
Serge me confie ses recherches généalogiques et les Archives de la famille : un vrai trésor !
Je découvre des lettres émouvantes échangées entre les filles Cobraiville, mère et tantes de Maman. Et c’est le déclic ! Mes sœurs et moi, nous interrogeons et empruntons des écrits, des photographies, des documents. Nous voilà chez nos oncles et tantes des familles paternelle et maternelle.
J’ajouterai que ce livre est un hommage à mes parents, une « prière » pour eux, moi qui ne suis pas croyante.
Pourquoi y mêler la grande Histoire ? Historienne de formation, je ne peux concevoir de raconter la vie de gens qui ont réellement existé sans les situer dans un contexte plus large : chacun de nous est étroitement lié à une époque donnée, dans un lieu donné, chacun est le résultat d’une chaîne d’événements familiaux mais aussi sociétaux et historiques. « Mettre mes pas dans ceux de mes parents, grands-parents et arrière-grands-parents… tel était mon souhait. Mais ce n’était possible qu’en évoquant la terre qui les a vus naître, le temps et les événements qui les ont forgés. »
En tant qu’historienne de formation, vous avez l’habitude de porter un regard critique à vos écrits [et, généralement, de vous positionner de manière neutre]. Comment avez-vous vécu le fait de mêler, dans votre récit, ce regard critique à une posture personnelle ?
Ce fut pour moi une expérience très instructive. Il y a toute une part d’histoire et de recherche historique dans ce livre. Et, si les événements familiaux, les comportements et actions des ancêtres évoqués s’expliquaient par les diverses personnalités et influences familiales, ils étaient liés également à ce contexte plus large que j’étudiais en parallèle : les famines, la guerre, les périodes de prospérité, mais aussi les changements de gouvernement ou de majorité dans les communes… C’était vraiment très intéressant…
D’autre part, bien sûr, je reste la narratrice d’une histoire privée (celle de notre famille) qui me touche de très près, que je raconte à ma façon, avec mes souvenirs, ma propre vision des choses, mes états d’âme, mon imaginaire à moi dont j’assume la part d’inévitable subjectivité. En effet, il aurait fallu les neuf témoignages de toute ma fratrie pour approcher la réalité, et encore…
Est-ce que l’écriture de ce récit a influencé/modifié votre regard sur le passé de votre famille et de votre région ?
En retraçant l’histoire de notre région d’Ardenne, je me suis fait une représentation plus exacte et plus détaillée de ce qu’était l’existence de ses habitants au cours des siècles derniers, dans une contrée rude, plutôt isolée. J’ai pu étudier par exemple comment le climat avait influencé l’agencement des villages, la construction des maisons, etc. Toutes ces choses qui semblent aller de soi trouvent leur explication, et c’est passionnant à étudier.
Quant à la vision de ma famille, c’est un peu le même processus : en prenant de la distance avec les anecdotes qui ont tissé la « légende familiale », en me référant aux conditions de vie qui ont été celles de mes ascendants, j’ai pu prendre la mesure de leurs difficultés, de leur courage, leur ténacité, leur solidarité. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu mettre dans la lumière ces héros de tous les jours que furent mes parents, grands-parents et arrière-grands-parents.
J’ai mieux compris la personnalité de chacun à travers les épreuves qu’il a pu vivre ou les rôles qu’il a été amené à jouer. J’ai pu retracer à quel point les deux guerres mondiales ont touché de près ma famille paternelle à Cobreville ; j’ai pu mieux me figurer la vie quotidienne du village de Vaux-les Rosières à travers les archives communales, les archives de la 1ère laiteries Saint-Eloy…
A un niveau plus personnel, j’ai mieux perçu, avec bien plus de proximité et d’empathie, les individualités de mes ascendants. C’est ainsi que j’ai compris par exemple à quel point notre Grand-tante (Alice) a été proche de nous, les enfants Leyder-Jacob, et qu’elle était pour nous davantage une troisième grand-mère qu’une grand-tante.
Y a-t-il un épisode particulier de votre récit qui vous a marquée personnellement ?
L’histoire des sœurs Cobraiville (ma grand-mère maternelle et ses trois sœurs Alice, Flore et Germaine) est assez étonnante : voici quatre jeunes filles qui au début du XXe siècle voyagent, se rendent visite, s’amusent. Je ne me figurais pas une telle liberté de mouvement pour des jeunes « campagnardes » des années 30. Mais surtout, c’est une histoire extrêmement triste. J’ai été très touchée par leur échange de correspondance, fait de récits joyeux, de plaisanteries, d’évocations communes, jusqu’à la fin brutale de leur paisible relation : en deux ans, deux des quatre sœurs sont mortes en couches, et les 2 survivantes ont porté ce fardeau leur vie entière.
L’histoire de la famille Demol (de ma grand-mère maternelle) pendant la Première Guerre mondiale m’a aussi beaucoup touchée : l’isolement du Parc Visart, le fils soldat porté disparu en 1916, le décès prématuré du père peu après cette nouvelle…
En tant qu’historienne, j’ai été passionnée par la guerre scolaire de 1879, « La loi de malheur », à Vaux-lez-Rosières. Il m’a fallu éplucher les archives du Conseil communal de Vaux de 1869 à 1883 pour enfin comprendre le rôle de mon arrière-grand-père, Elie Cobraiville, qui fut maître d’école pendant une année dans l’école libre instituée par le clergé pour faire pièce à l’école « sans Dieu » (l’école communale).
Je me suis beaucoup amusée en reconstituant le puzzle de la naissance d’Henri-Joseph Jacob, parcourant les registres de mariage et de naissance, allant jusqu’au Grand-Duché de Luxembourg pour établir les liens entre les protagonistes.
Retrouver la date de la destruction de la chapelle castrale à Cobreville fut aussi un casse-tête, finalement résolu à l’évêché de Namur.
Comment l’annonce de l’écriture de ce récit a-t-elle été prise dans votre famille ?
Mon annonce a été reçue positivement je crois, en tout cas sans aucune réserve apparente. Mes oncles et tantes ont répondu à toutes mes questions et m’ont apporté des précisions et raconté des anecdotes que j’ignorais. J’ai d’abord distribué à mes frères et sœurs et à mes oncles et tantes une première version très détaillée qui a été accueillie avec beaucoup intérêt me semble-t-il. Et ils découvrent à présent la version définitive (après les aménagements et remaniements d’usage).
L’Ardenne, ma famille de Pascale Leyder est disponible en librairie et sur notre e-shop au prix de 25€.