Vous reprendrez bien un peu de désert ?

L’omniprésence du fait religieux dans nos cultures occidentales a longuement imprégné les textes littéraires même lorsque ceux-ci n’étaient pas destinés principalement à entretenir la ferveur des fidèles. Dans les hagiographies de la tradition catholique, le merveilleux le dispute à la réalité pour forger des destins admirables patiemment recensés dans des manuels, distillés dans un calendrier spécifique dont les reliquats agrémentent d’ailleurs toujours les séquences de prévisions météorologiques.

Tercorère serait né au 2e siècle de notre ère, sans doute sur les rives sud de la Méditerranée et il appartiendrait à la catégorie des ermites du désert. Solitaire, il a quitté le destin que lui ouvrait son milieu familial pour le dénuement le plus total. Se soumettant aux pires conditions d’existence, il affectionne la privation volontaire, le renoncement aux plus petites plaisirs, les pourchassant même quand ils suscitent un désir, une envie. Et quand cela ne suffit pas, il pratique la mortification, l’autoflagellation, n’hésitant pas à exposer son corps aux pires épreuves, quitte à frôler la mort. À la base de ce comportement, une haine des hommes et surtout de lui-même, la poursuite d’un impossible rachat par le sacrifice. S’il ne refuse pas la charité qui lui est faite, il se singularise par les injures et les menaces qu’il lance quand on s’approche de lui. Cette quête éperdue de pureté ne laisse pas ses semblables indifférents. Sa saleté repoussante, ses blessures purulentes et son mauvais caractère lui valent l’évitement de la plupart, mais ils fascinent aussi d’autres qui voient en lui un modèle à suivre et qui souhaitent devenir ses disciples. Et lorsque décède l’évêque de la ville au pied de laquelle il s’est installé, les regards se tournent vers lui, qui curieusement ne refuse pas la fonction. Le voici même qui mobilise les fidèles dans un projet de cathédrale grandiose qu’il inaugure inachevée en grande pompe. Et lorsque des envahisseurs menacent la ville, il entraîne la population, tel Moïse, vers la montagne lointaine où l’inattendu se produit …

La dernière page tournée, on se prendrait à vouloir en savoir plus sur ce personnage aux atours historiques. Mais on ne trouvera nulle trace de lui dans le catalogue des figures saintes reconnues par les autorités ecclésiastiques au fils des siècles et que l’on compte par centaines. Jusqu’à ce prénom dont ce serait la première occurrence … À bien y penser, André-Joseph Dubois nous a mis la puce à l’oreille avec l’extravagance du personnage qui est somme toute un cousin de Macaire le Copte, autre ermite, ayant lui bien existé, qui occupait le centre du roman de François Weyergans paru en 1981. La démarche de Dubois pousse cependant l’exercice plus loin. Vie et mort de Saint Tercorère le Maudit flirte avec la démesure et la dérision lorsqu’il dépeint les penchants masochistes et mortifères de l’ermite, ses débordements verbaux et le fanatisme aveugle de ceux qui le vénèrent. Irrévérencieux, ce récit singulier, dont le titre laisse penser qu’il relève d’une démarche religieuse, est un détournement d’objet. En fait, nous tenons là un pastiche des hagiographies, une farce malicieuse servie par une écriture fluide et plaisante et non dépourvue d’élégance. On devine que l’auteur a pris du plaisir à l’écrire et ce plaisir est communicatif. Et il nous laisse de surcroit avec un lot de questions sur les fanatismes de tous poils !

Thierry Detienne pour Le Carnet et les Instants

« Vie et mort de Saint Tercorère le Maudit » de André-Joseph Dubois est disponible en librairie et sur notre e-shop :

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