Les crimes de Simenon sous la loupe de Michel Carly
Cet ouvrage « Simenon au cœur du crime » dévoile un aspect méconnu du père de Maigret. Confronté à l’univers du crime dans son métier de journaliste, tant à Liège qu’à Paris, Simenon n’a pas hésité à nourrir ses Maigret, mais aussi d’autres titres de son oeuvre foisonnante, de ses fréquentations policières et criminelles. Michel Carly rouvre les archives d’affaires oubliées et retrouve les scènes de crimes pour son nouveau livre Simenon au cœur du crime.
– Michel Carly, qu’est-ce qui est à l’origine de votre passion pour Georges Simenon et l’œuvre littéraire qu’il nous a laissée ?
Les lectures de ma mère qui lisait tout Simenon. C’est mon matrimoine !
Un jour, plus tard, j’ai vu une exposition de photos prises par Simenon à Charleroi en 1933. Je me suis étonné : photographe ? Chez nous ? Que faisait-il là ? J’ai été frapper à la porte du Fonds Simenon à l’Université de Liège. Ce jour-là, j’ai mis ma main dans un engrenage. je n’en suis pas encore sorti !!
– Votre travail et vos publications nous donnent le sentiment qu’on n’a jamais fini d’analyser l’œuvre de Simenon, que les recherches sur le personnage sont infinies.
Il y a encore, j’espère, des voiles à soulever. Avis aux chercheurs.
– En 1931, Simenon crée le personnage du commissaire Maigret, devenu mondialement connu, toujours au premier rang de la mythologie du roman policier. Qu’est-ce qui explique le succès impressionnant de ce personnage ?
L’empathie que dégage Maigret. C’est un personnage plausible, vivant, proche du lecteur. Mais de plus, Simenon l’a voulu rassurant, équilibré, consolant. Son désir de vouloir “raccommoder” la destinée du coupable en témoigne. C’est un personnage qui n’a rien d’artificiel, ce n’est pas un héros brillant, séducteur, extraordinaire. Il est comme vous et moi. Il essaie de bien faire son travail, honnêtement Il veut, dit-il, que le monde soit propre, “comme sur les images de notre enfance”. De plus, Simenon en a fait un fonctionnaire, ce qui va immédiatement attirer l’attention des vrais policiers du “36 Quai des Orfèvres” qui vont se plonger dans les premiers “Maigret” parus.
– La confusion entre Maigret et Simenon ne vient-il pas du fait que le romancier a intentionnellement brouillé les pistes, en intégrant des aspects de sa propre vie et de sa philosophie dans le personnage du commissaire ?
Simenon a souvent précisé que Maigret ce n’était pas lui. Il ne lui donne pas ses idées, sa philosophie, ses préférences (à part la pipe et le verre de bière). Mais il disait qu’il se souciait d’exprimer ce que pensait un commissaire de police de 40-50 ans dans l’exercice de sa fonction. Sauf pour la justice et les juges où le romancier lui prête ses doutes quant à la sincérité et l’objectivité des acteurs de la justice.
– Force est de constater que le commissaire partage certaines caractéristiques avec son créateur. Par exemple, l’amour pour les choses simples comme la bière dans une brasserie. Pourquoi Simenon a-t-il fait vivre son personnage autant en France ? Pourquoi a-t-il privilégié Paris à Bruxelles par exemple ?
Parce qu’il a décidé de faire carrière en France et qu’une fois arrivé à Paris en 1922, il est devenu un piéton insatiable de Paris. Simenon, ensuite, a exploré la France entière, en curieux de la société et surtout pas en touriste ! Il a eu alors à sa disposition une vaste géographie multiple de la France. Enfin, il est évident que le 36,Quai des Orfèvres était un lieu plus fascinant et plus célèbre aux yeux des lecteurs du monde entier.
– Par quel « Simenon » faut-il commencer ? Par quel roman lire en premier selon vous ?
Impossible de répondre. Parce que le choix dépend de chaque personnalité et de l’âge du lecteur. Pour mieux connaître Maigret, je dirais “Maigret et l’affaire Saint-Fiacre”, mais surtout le meilleur “Les Mémoires de Maigret” qui n’est pas une enquête mais qui raconte la vie du personnage, rédigée bien sûr par Simenon. Pour les hommes de 50 ans, mon titre préféré, c’est “Les Anneaux de Bicêtre” (pour les médecins et les infirmières aussi !!)
En résumé, lisez les 192 romans qu’il a écrits !
– Vous avez co-signé La Belgique de Simenon, paru chez Weyrich, avec Christian Libens, votre ami et Simenonien passionné comme vous. Ce livre s’est très vite vendu. Christian Libens nous dit qu’il a pris beaucoup de plaisir à y travailler. C’est votre cas aussi ? Il y a tant à dire sur Simenon et la Belgique ?
La Belgique pour Simenon, c’est Liège, essentiellement. Mais il a mûri un rapport très “je t’aime, moi non plus” à l’égard de sa ville natale. Cela n’efface pas les racines, les souvenirs, l’enfance, l’écolage de la vie. Mais il y avait laissé aussi des “fantômes”, pour cela lire son roman autobiographique “Pedigree”. Très vite, il a compris que le vrai tremplin, c’était Paris, pour sa femme Régine aussi, qui était peintre. Le cercle belge était trop petit. Il cherchait la pâte humaine partout, l’homme universel. Mais, à la fin des années 30, il a compris, comme il l’écrit, que “les hommes sont plus frères que fraternels”.
– Vous qui êtes un homme de l’image, un scénariste, un homme de cinéma, quel est le meilleur « épisode » de Maigret à la télévision selon vous ?
Je parlerai de l’interprète. Bruno Cremer reste le meilleur, il n’a jamais été dépassé. Il avait la carrure, les silences, la sérénité, l’équanimité, l’empathie. Au cinéma, Jean Gabin bien sûr.
– Vous venez de publier Simenon au cœur du crime, chez Weyrich, un livre « grand public » qui dévoile un aspect méconnu du père de Maigret. Confronté à l’univers du crime dans son métier de journaliste, tant à Liège qu’à Paris, vous dites que Simenon n’a pas hésité à nourrir ses Maigret, mais aussi d’autres titres de son œuvre foisonnante, de ses fréquentations policières et criminelles. Ses œuvres tiennent moins de la fiction qu’elles n’y paraissent alors ?
Simenon a toujours avoué être passionné par les faits divers, criminels surtout. Dès son entrée à “La Gazette de Liège”. Il restera fasciné par ce qui se déroule au tribunal, aux assises, le cérémonial impressionnant, les arcanes, la théâtralisation, la déshumanisation du coupable dans le box. Parfois, il s’est servi d’une affaire criminelle réelle, mais juste comme tremplin. Comme démarrage d’un “Maigret”. Mais après c’est son génie de la narration qui joue à chaque fois. Il convient de ne pas oublier que Simenon refusait qu’on le considère comme auteur de romans policiers. L’essentiel est de comprendre qu’il s’est servi de la mécanique du roman policier pour explorer profondément l’âme humaine, ses lâchetés, ses grandeurs, ses faiblesses. Pourquoi Maigret/Simenon est-il aussi fasciné par quelqu’un qui a commis un crime ? Tout simplement parce que ce dernier a “passé la ligne”, disait-il, et qu’il a enfreint le tabou absolu.
– De la Permanence de Police à Liège au fameux Quai des Orfèvres parisien, Michel Carly rouvre les archives d’affaires oubliées et retrouve les scènes de crimes ! Y a-t-il encore tant de choses à découvrir sur Simenon et ce qui l’a inspiré ?
Il y aura toujours des recherches à faire. En archives, surtout privées. Et bien sûr aux archives personnelles à Lausanne où j’ai pu puiser largement des inédits, des intimités, des corrections de dates, des évocations d’épisodes de sa vie inconnus, etc. Le problème, c’est que je demeure le seul chercheur en vie (je touche du bois !) Donc place aux suivants, aux jeunes et appel aux amateurs !
Propos recueillis par Olivier Weyrich
« Simenon au coeur du crime » de Michel Carly est disponible en librairie et sur notre e-shop:


