D’une ambiance forestière au « road movie »

Patrick Devaux a lu « Le roi de la forêt » pour Le Reflets Wallonie-Bruxelles.

Le décor nous est familier, en pleine et belles Ardennes : « Je m’arrête net, les yeux droit devant. A dix mètres de moi, tête penchée vers quelques flaques boueuses émues des dernières pluies, un cerf majestueux, les bois massifs comme des mains tendues aux doigts écartés. Je fixe mon attention sur l’animal qui finit par se relever et croiser mon regard ».

L’intrigue est directement enclenchée avec la découverte d’un corps qui se révèle être celui de l’ex épouse de l’enquêteur qu’elle a quitté 9 jours plus tôt.

Les rebondissements sont rapides, scénarisés, genre film avec en sus la force de la description non seulement des situations, des lieux mais avec également un certain dynamisme activant des profils psychologiques ou des mises en scène de relations personnelles jouant un rôle dans le drame.

Entre Vresse-sur-Semois et Corbion, entre 1976 et 2006, les évènements se bousculent à, in fine, désigner un coupable récent qui devra prouver son innocence.

A l’appui d’un genre qu’on peut qualifier de « policier », l’auteur met également en contexte les intrigues d’intégration dans une communauté : « Cela avait été pour moi comme un baptême, j’entrais en communauté rurale comme on entre en religion. Je devenais enfin visible, quelqu’un.

Après avoir observé, j’en reproduisais maintenant les coutumes et, les jours suivants, une fois les touristes sur le départ, la même routine tranquille reprenait son cours, son temps. Le silence revenait en Ardenne et on entendait à nouveau la Semois chanter entre les rochers ».

Avec aussi l’ambiance générale très bien maîtrisée, les dialogues font mouche, un peu à la façon de Simenon en se mêlant directement aux attitudes :

« D’une main, je m’attarde sur un cliché où les marques se mélangent, cigarettes et cutter.

  • Tu ne te doutes vraiment pas d’où ça vient ? Brissack a du mal à feindre l’étonnement ».

Les soupçons vont se préciser avec la tournure déplaisante à laquelle il faudra faire face. L’auteur a le chic de mener à bien l’attente, la pause : « D’un revers du poignet, j’efface la buée qui se forme sur le miroir avant de me décider à ouvrir un peu la fenêtre. Sentir l’air frais sur la peau, faire partir l’humidité. Propre, je me sens prêt pour un nouveau round. Je repars dans l’attente de la suite ».

La rumeur, elle, suit son cours, y compris lors des funérailles de la défunte : « Les murmures continuent, comme par vague. En me retournant, je constate tous ces yeux braqués sur moi, qui me défient d’agir, d’entrer en pleine rédemption et d’avouer en public ce que j’ai fait, ou ce qu’ils aimeraient que j’aie fait ».

Une touche d’hyperréalisme utilise les décors de façon assez picturale : « Le néon indiquant la direction des toilettes, là-bas derrière le billard, frétille à cause de l’humidité ambiante. Le jukebox est définitivement éteint vu la couche de poussière que l’on ne prend même plus la peine de nettoyer. La pluie grasse qui commençait à tomber à mon arrivée est un peu plus présente et vient moucheter la vitre à ma gauche ». Une impression de solitude peut ainsi parfois faire penser aux tableaux d’Edward Hopper. Le lecteur passe ainsi d’une ambiance forestière à un style plus « road movie », le romancier excellant dans des genres différents.

Un article signé Patrick Devaux pour Reflets Wallonie-Bruxelles

« Le roi de la forêt » de Christian Joosten est disponible en librairie et sur notre e-shop :

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