Saints et guérisseurs de Philippe Carrozza
Philippe Carrozza est journaliste pour le quotidien L’Avenir de Luxembourg. Déjà l’auteur de plusieurs ouvrages compilants des souvenirs de la Seconde Guerre, il change de registre et propose le recueil Saints et guérisseurs. Nous soulagent-ils du mal ?
– Philippe, comment vous est venue l’idée d’interviewer ces guérisseurs?
Cela faisait très longtemps que je connaissais leur existence. Dans ma jeunesse, en Ardenne où je suis né, les gens avaient l’habitude de “consulter” telle ou telle personne de tel ou tel village, réputée pour ses dons de “guérisseuse”. Que cela soit pour arrêter les brûlures, faire disparaître des verrues, soigner une foulure, arrêter le sang, etc. J’y ai moi-même eu recours pour un problème de peau et, cela a … marché. Effet placebo? Je n’en sais rien. Toujours est-il que cela a mieux fonctionné que les pommades prescrites. J’ai par la suite continué à entendre parler de ces personnes; j’en connaissais moi-même, mais celles-ci restaient discrètes. Le sujet était quasi tabou. Celles et ceux qui recourent à un rebouteux n’osent l’avouer en société de peur de se faire passer pour niais ou fous; tandis que ceux qui “ont le don” n’en font aucune publicité parce qu’ils craignent le regard de l’autre. Tout ce mystère m’intriguait. Déformation professionnelle ou pas, j’ai eu envie de savoir.
– Au cours de vos interviews, avez-vous eu parfois l’impression d’être “mené en bateau”?
Non. Après 25 ans de métier, j’ai poussé les rebouteux que j’interviewais dans leurs derniers retranchements. Si ce que j’entendais me paraissait énorme, je reformulais ma question. La réponse ne m’appartenant pas, elle n’engage que le rebouteux. C’est au lecteur ensuite de se faire une idée. Ici, la démarche est purement journalistique. Ce n’est pas un traité sur les pratiques des rebouteux ni un plaidoyer pour leurs dons. Je ne dis pas non plus que tout ceci est du pipeau. J’expose les faits, j’enregistre les témoignages et encore une fois, c’est au lecteur de se forger une idée. Et pourquoi ces personnes qui ne reçoivent aucun salaire en échange de leur service auraient-elles voulu me mener en bateau, sachant que, pour la plupart, elles souhaitaient garder l’anonymat le plus absolu? Je reste persuadé que ces gens rencontrés sont honnêtes.
– Y a-t-il des gens que vous n’avez pas mis dans le livre car vous mettiez en doute leurs propos?
Il y a l’un ou l’autre récit qui me laisse un peu perplexe. Je ne dis pas que ce que ces personnes disent est faux, incorrect ou complètement farfelu, mais je suis resté sceptique. Avais-je le droit pour autant de sucrer leurs propos? Je ne le crois pas. Ces gens sont honnêtes, je le répète, et le lecteur doit savoir qu’ils existent. Même ce qui semble le plus farfelu est de facto un fait qui existe dans notre société. Pourquoi mettre le couvercle sur la marmite? Pas de tabou, mais un droit à l’information. Ces personnes font partie de notre société, elles y ont leur place; pourquoi les nier?
– Une anecdote particulière qui vous aurait marqué?
Oui, je me souviens qu’un de mes rebouteux m’a solennellement demandé de me laver les pieds à l’eau claire avant de venir chez lui, “par respect pour lui et sa maisonnée”. C’est assez surprenant. Bon, je l’ai fait, par respect. Il m’a accueilli chez lui et il a répondu cash à toutes mes questions.
– Et finalement, selon vous, nous soulagent-ils du mal ?
Je reste persuadé qu’il se passe quelque chose. Que cela soit lors d’une visite chez un rebouteux ou sur le site des apparitions de Beauraing ou Banneux, à Lisieux ou à Malonne, mais aussi dans de petits sanctuaires de nos régions que je décris. Il y a des centaines d’ex-voto, des mots touchants, des mercis un peu naïfs parfois mais tellement authentiques. Quelqu’un, dans une de mes interviews, me prétendait que tout cela, c’est pour les personnes simples et très peu éduquées. Je pense qu’il va trop loin. C’est insultant pour ces gens qui, dans la détresse, ne savent plus toujours à… quel saint se vouer. Et quand ils obtiennent satisfaction, leur joie déborde et ils souhaitent le faire savoir tout autour d’eux.
Le fil conducteur de ce livre est de “relater tout ce qui fait du bien sans paiement en contrepartie et sans l’apport de médicaments”. Où est le mal, après tout?
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