Chasseur ardennais au Congo en 1960
Le Congo s’embrase retrace les faits qui se sont produits au lendemain de l’indépendance du Congo en 1960. La situation était critique pour 88 000 Belges restés là. Une opération militaire gardée secrète est montée.
Des Chasseurs ardennais sont envoyés sur le fleuve Congo. Ces soldats débarquent en force à Matadi le 11 juillet 1960 avec pour mission de reprendre le contrôle du principal port congolais. Hugues Wenkin détaille tout cela dans un livre de 240 pages remplies de documents inédits et de photos. Il raconte comment les Chasseurs ardennais ont rempli leur mission avec brio et sauvé des dizaines de vie. Il a mené l’enquête sur les véritables motivations de l’opération Matadi.
L’adjudant en retraite, Jean Dandois, faisait partie du contingent militaire belge. Il avait 23 ans en 1960. Il habite à Bourdon (Hotton). Mobilisation : ils quittent la table du repas des fastes. Il se souvient.
Dandois, vous qui étiez militaire de carrière en 1960, étiez-vous au courant de ce qui se passait au Congo ?
Dès 1959, on savait que l’armée belge voulait envoyer des troupes en Afrique et elle a fait appel à des volontaires. Moi, j’étais caserné à Siegen, en Allemagne, je me suis porté volontaire.
Nous ne savions pas ce qui se passait au Congo et d’ailleurs on parlait de mission en « Outremer » comme on disait, sans préciser où.
En mai 1960. J’appartenais à la compagnie de marche pour l’Afrique. Un jour, lors des fastes, on nous a demandé de quitter la table et de rejoindre notre compagnie parce que nous devions partir en Afrique. De Siegen on a été sur Cologne puis à Etterbeek en cars militaires. Nous y sommes restés 3 jours pour recevoir toutes sortes de vaccins sans ménagement et un équipement un peu modifié : courtes culottes, chapeau colonial, notamment. Un lundi, on a embarqué pour le Congo à bord d’avions civils de la Sabena.
Avec quel sentiment ?
On n’imaginait pas que nous allions devoir faire le coup de feu. L’indépendance du Congo n’allait arriver qu’un mois et demi plus tard. On était là en renfort des paras au cas où. À cette époque-là, il n’y avait pas encore de soucis. Une fois sur place, il faisait très chaud. On s’est installé à Kitana. La volonté de l’état-major était qu’on arrive plus tôt pour qu’on s’acclimate.
Quand avez-vous senti que la tension montait dans le pays ?
Quand on a entendu Lumumba à la radio. Il annonçait qu’avec l’indépendance c’en serait terminé des brimades des blancs. Notre chef de peloton nous a mis en état d’alerte parce qu’il y a eu à gauche et à droite des exactions commises par les soldats de la force publique congolaise.
Quel genre d’exactions ?
Il y a eu des viols, des arrestations arbitraires à Thysville. Les Belges étaient paniqués et fuyaient. J’ai été envoyé le 9 juillet en mission sur la route de Boma où j’ai vu passer des dizaines de réfugiés. Une auto à grande vitesse a failli m’écraser. Elle avait un véhicule des forces publiques aux trousses. Quand les Africains ont su qu’on était là, ils n’ont pas osé aller plus loin.
Ils avaient peur ?
Je pense que comme nous, ils ne tiraient que si on leur tirait dessus.
Vous avez dû employer votre arme ?
Oui. Dès le surlendemain. Après l’épisode de la route de Boma, tout le monde a embarqué vers le port de Matadi. Là, on a essuyé des coups de feu. Notre marine a riposté avec un canon de 20 mm. Les Belges avaient soit fui en Angola, soit trouvé réfugié sur les bateaux.
Le 11 juillet on a reçu l’ordre de partir, soi-disant parce que nous avions utilisé nos armes à tort.
Une fois Matadi derrière eux, les Chasseurs ardennais remontent vers Boma et Banane avant de reprendre l’avion pour N’Djili parce que des mutins ont l’intention de s’emparer de l’aéroport. Les paras sont déjà à pied d’oeuvre : « De là, avec mon peloton, je suis allé jusqu’à l’entrée de Léopoldville (Kinshasa). J’ai vu des tas de réfugiés, des femmes qui avaient été violées dont des religieuses qui étaient toutes étendues sur des brancards. Les gens étaient épouvantés. Finalement, nos troupes ont été priées de partir. Nous avons été remplacés par des soldats guinéens de l’ONU dirigés par des officiers anglais qui ont exigé qu’on leur remette nos armes. Ce que nous avons refusé, bien sûr. Nous ne sommes pas rentrés en Belgique. On est resté en standby au Rwanda et au Burundi jusqu’en septembre.
L’année suivante, en 1961, je suis retourné en Afrique. Les Chasseurs ardennais avaient l’ordre d’empêcher les rebelles congolais d’entrer en territoire rwandais. Autant dire mission impossible. Si vous en attrapiez un, certain que 50 autres parvenaient à traverser le lac qui sert de frontière! Cette fois-là, il n’y avait pas de compatriotes à protéger.»
Cette dernière mission terminée, M. Dandois ne remettra plus les pieds en Afrique. Il a pris sa retraite en 1986 au camp roi Albert de Marche.
Propos recueillis par Philippe Carrozza
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