Les artistes congolais distillent leurs messages
Chantal Tombu, directrice et commissaire d’exposition à l’Espace Texaf Bilembo à Kinshasa nous parle de la naissance de la collection consacrée à l’art contemporain congolais qu’elle publie chez Weyrich Africa avec l’appui de précieux bailleurs congolais.
Avec la parution de votre deuxième volume « Papier de sociétés », on devine l’envie de créer une collection consacrée à l’art contemporain congolais. Si c’est bien votre projet, pouvez-vous nous parler de votre collection naissante ? Quels sont ses objectifs et à quel rythme pensez-vous publier ?
Chantal Tombu : Effectivement nous avons créé en 2018 la première collection consacrée à l’art contemporain congolais. C’est d’une discussion avec Aimé Mpané, à l’Espace Texaf Bilembo, que nous est venue cette évidence : la nécessité de collecter, rassembler des traces, d’archiver le travail des artistes et de le documenter sous forme de publication, bien illustrée. C’est jeter les bases pour que de futurs historiens de l’art puisse établir une véritable histoire de l’art du pays. L’objectif, c’est de publier un livre par an et d’atteindre pour 2030 une collection de douze titres.
Chaque publication comporte une biographie, un interview détaillé, qui respecte les intentions de l’auteur, des analyses esthétiques d’œuvres clefs précises, des dessins préparatoires, des photographies d’œuvre en cours de travail. Les photographies sont nombreuses, de qualité, avec des détails précis. Et les textes sont rédigés par des historiennes de l’art. Un résumé en anglais est disponible à la fin de chaque chapitre.
Ce deuxième ouvrage Papier de société donne la parole à trois artistes : Steve Bandoma, Raymond Tsham et Kura Shomali, quels sont les messages qu’ils véhiculent ? Pourquoi ces trois artistes ont déjà une portée internationale ?
Chantal Tombu : Steve Bandoma, Raymond Tsham et Kura Shomali sont trois artistes plasticiens congolais, insolites et géniaux, présents sur la scène internationale contemporaine, dans des foires prestigieuses comme l’AKAA et dans des galeries comme la galerie Angalia…
Ces trois vedettes ont délibérément choisi depuis leurs débuts, et c’est leur seul point commun – excepté leur talent – de s’exprimer avec des encres colorées sur papier Canson. Leur personnalité, leur registre thématique, ainsi que leur vocabulaire artistique sont totalement différents. Chacun a su créer un univers particulier et investigue dans un domaine précis, avec un style inimitable.
Ils ne sont pas journalistes mais réalisent en finale des « papiers de société ». Un papier est un terme générique du journalisme et désigne aussi bien un article en presse écrite ou web, qu’unechronique en radio ou en télé. Créateurs d’images, ces artistes distillent des messages et des témoignages originaux sur notre société. Leurs œuvres brossent à petites touches des portraits collectifs et écrivent l’histoire de l’art du pays.
- Kura Shomali incarne la voix du peuple
- Raymond Tsham ressuscite les arts anciens
- Steve Bandoma dissèque la vérité crue
En 2019, vous avez ouvert cette collection avec un premier tome intitulé la Peinture populaire en héritage qui présente des œuvres d’un jeune artiste reconnu JP MIKA. Pourquoi est-ce important pour lui de rendre hommage aux « Anciens », comme Pap’Ema, Ange Kumbi ou Chéri Samba ?
Effectivement ce premier livre a été consacré à la Peinture Populaire à la demande de JP MIKA. Nous lui avions proposé de réaliser un livre sur son travail, suite à sa première exposition individuelle à Kinshasa, dans notre « Espace Texaf Bilembo », mais il a préféré que cette publication présente le travail de ceux qui en quelque sorte avait cassé les « pierres du chemin pour lui ». C’est un homme généreux, un artiste talentueux.
A chaque parution, vous avez soigneusement organisé un événement pour célébrer les artistes mis à l’honneur dans vos ouvrages. Il s’agit d’une grande exposition installée dans l’Espace Texaf Bilembo à Kinshasa. Pourquoi est-ce un moment important pour les artistes et les passionnés d’art contemporain congolais ?
Effectivement, chaque parution de publication s’accompagne du vernissage d’une exposition ! C’est un événement fort car pour l’artiste, il y a une célébration artistique autour de son travail et aussi en tant qu’artiste plasticien. Présenter une exposition individuelle dans sa capitale lui permet d’être reconnu de ses pairs, de rendre fière sa famille, d’être en phase avec son public et de motiver les Jeunes. C’est moins abstrait qu’une exposition en ligne ou à l’étranger. Chaque exposition est soigneusement préparée, avec un accrochage professionnel. Le public est toujours au rendez-vous. C’est notre mission que d’appuyer les artistes.
Nos lecteurs ne connaissent peut-être pas bien l’Espace Texaf Bilembo. Pouvez-vous nous en parler ?
TEXAF BILEMBO est un espace culturel et éducatif atypique, de plus de 1000 m2, inauguré le 4 novembre 2013 au centre de Kinshasa dans un bâtiment d’usine textile désaffectée. TEXAF BILEMBO a pour vocation d’initier les publics aux patrimoines naturels et culturels de la RDC car on protège et on aime ce que l’on connait, ce qui nous rend fier et responsable.
« Bilembo », « elembo » au singulier, signifie en lingala les marques, les signes, les preuves, les symboles… « Texaf » nous renvoie aux textiles africains… Du palmier raphia au pagne, une histoire s’écrit et tisse les liens de la solidarité entre les humains, les animaux et les végétaux. Et c’est effectivement la société Texaf qui est le fondateur et principal mécène. Elle met à disposition le bâtiment, le jardin, le parking sécurisé et soutient les visites d’écoles, permettant chaque année à l’équipe éducative de dispenser six mille ateliers pédagogiques et workshops auprès d’une jeunesse avide de contenus et d’une nouvelle pédagogie.
Quels sont les objectifs de l’Espace Texaf Bilembo ?
Nos deux missions de l’Espace sont clairement distinctes. D’abord un objectif éducatif grâce à l’animation d’ateliers pédagogiques qui informent sur la culture du pays et les enjeux de l’environnement. Ensuite, nous avons un objectif artistique en offrant un espace culturel unique pour la promotion des artistes congolais.
Ces ouvrages et ces événements sont possibles grâce au soutien de plusieurs mécènes et bailleurs. C’est un appui financier indispensable pour faire progresser l’art contemporain en RD Congo ?
Oui c’est le mécénat privé qui nous permet de réaliser ces publications et nous les remercions de notre confiance. Le premier volume de la collection, soutenu par Total en 2018, a rendu hommage avec succès aux peintres populaires. Le deuxième, soutenu par la Rawbank de 2019 à 2020, a mis à l’honneur trois artistes qui travaillent sur papier Canson dans des styles très différents : Steve Bandoma, Raymond Tsham et Kura Shomali. Les deux prochains volumes seront appuyés par la Trust Merchant Bank, de 2021 à 2023. Nous avons du pain sur la planche !
Ces livres en appellent d’autres certainement ! Quels sont vos projets pour les années à venir ?
Le troisième volume prendra le pouls de Kinshasa, hier et aujourd’hui, couleur rumba, couleur selfies, au travers des univers très colorés de Pita Kalala et Thonton Kabeya. La présentation au public, accompagnée d’une exposition est prévue pour novembre 2022.
Le quatrième volume sera consacré au parcours étonnant réalisé par le sculpteur et peintre Aimé Mpané Enkobo, internationalement connu. Les textes seront en français et en anglais. La présentation au public, accompagnée d’une exposition (la première en solo de l’artiste à Kinshasa) est prévue pour novembre 2023
Où sont présentés ces livres ? Que recherchez-vous comme impact ?
L’impact : faire rayonner les artistes, établir des réseaux. Nous distribuons les livres à partir de notre carnet d’adresses, dans les académies, bibliothèques, musées, les galeries, auprès des collectionneurs… L’Espace Texaf Bilembo est un laboratoire, qui archive, mémorise, étudie et restitue au public…Fixe les bases d’une histoire de l’art congolaise, avec des repères et un fonds photographique au pays ; Permet aux futurs chercheurs d’avoir accès à des interviews et des analyses d’œuvres, esquissant une vision globale et non parcellaire de l’identité de l’artiste.
Bon à savoir : les livres de cette nouvelle colleciton sont mis en vente dans les art-shops de l’Espace Texaf Bilembo à Kinshasa en RD Congo, au Musée Royal de l’Afrique Centrale de Tervuren en Belgique et bien sûr disponible auprès de l’éditeur et en ligne sur le site www.weyrich-edition.be
Photographie d’en-tête : © A. HUART