La Belgique a voulu reprendre le Congo de force
Hugues Wenkin signe un article coup de poing dans Soir Mag à l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage, Le Congo s’embrase.
« Un fonds d’archives plein de surprises
Lorsque j’ai commencé à écrire sur les événements de juillet 1960 au Congo, j’ai axé mon enquête sur les fonds d’archives des anciens responsables coloniaux, étant persuadé que ceux-ci avaient ramené bien des secrets dans leurs malles revenant d’un Congo laissé en feu. D’emblée, le fonds d’archives du colonel Frédéric Vandewalle, le chef de la sûreté congolaise au moment de l’indépendance m’a semblé prometteur. L’homme était au cœur du renseignement militaire et si des informations restées cachées existaient, elles ne pouvaient qu’être dans ses papiers. Ce fonds n’est pas encore inventorié, cela implique que le musée d’Afrique centrale à Tervuren qui les a en dépôt n’est pas totalement au courant du contenu des documents qui reposent dans ses caves. Ma démarche s’est avérée payante dès le premier jour !
Dans l’une des fardes de papiers jaunis, j’ai découvert une liasse contenant une partie des archives du comte Harold d’Aspremont-Lynden, notamment une chemise reprenant les notes préparatoires du cabinet ministériel restreint consacré à la planification de l’indépendance congolaise et aux jours terribles qui l’ont suivie. Très vite, une note signée d’un conseiller politique de Gaston Eyskens retient toute mon attention. Il y est question d’établir un protectorat militaire belge sur le Congo en collaboration avec l’ONU et d’obtenir l’élimination de Patrice Lumumba. Le document est daté du 12 juillet 1960, soit le lendemain de la sécession katangaise. À cette date, la Belgique demandait encore à son ambassadeur de maintenir des liens amicaux avec l’ancienne colonie…
[…]Se pencher sur ces feuillets revient à dessiller les yeux sur les dessous de la politique coloniale belge. Si ces mémorandums ne servent en théorie qu’à explorer les stratégies à suivre, force est de constater qu’ils ont eu un impact réel sur les décisions prises par le gouvernement Eyskens et se sont souvent retrouvés suivis d’actes tangibles. Il ne me restait plus qu’à découvrir si le gouvernement belge avait bel et bien tenté d’établir un protectorat militaire sur son ancienne colonie. Le résultat de l’enquête est époustouflant !
Retour en des temps troublés
Les 5 et 6 janvier 1959, une émeute ensanglante les rues de Léopoldville. Cette affaire pousse Bruxelles à accélérer le processus conduisant la colonie à l’indépendance qui sera déclarée le 30 juin 1960. […] Les choses s’accélèrent. Le problème est qu’à cause d’un investissement trop tardif dans la création d’une élite noire, la colonie ne dispose pas des cadres autochtones nécessaires pour son administration. La Belgique décide donc de laisser en place son administration d’origine belge en la coiffant de ministres congolais. Le but affiché par le gouvernement Eyskens est d’aider les Congolais à prendre petit à petit le relais des Belges au fur et à mesure que leurs cadres sortiront des écoles.
Mais le projet n’était pas aussi altruiste qu’il n’y paraît au premier regard, comme l’explique l’auteur du Congo s’embrase. Pour d’Aspremont-Lynden, conserver une administration belge dans l’ancienne colonie constitue «pour la sauvegarde des personnes et des biens des garanties beaucoup plus substantielles que celles offertes par les traités les mieux rédigés. » Et si les cadres belges sont démotivés par des lendemains incertains, pour le conseiller de Gaston Eyskens « il importe de reprendre cette administration en mains et de lui fixer comme objectif son maintien au Congo. On ne doit pas hésiter à prendre des sanctions exemplatives et sérieuses contre tout fonctionnaire qui ne se plierait pas à cette discipline. » Par administration, le comte entend notamment la force publique et la magistrature. Sous des dehors d’entraide paternaliste, la Belgique décide en réalité de garder la main sur le pays en y laissant un solide carcan administratif et militaire. Et comme l’on ne peut pas être totalement sûr des soldats congolais, pour rassurer les ressortissants obligés de rester sur place, la force militaire belge se voit renforcée dans les deux bases de Kitona et de Kamina.[…]
Pour les Congolais, la dipenda a donc la couleur et le goût de l’indépendance sans l’être vraiment. Le gouvernement belge fait un pari osé : celui de s’éviter une guerre coloniale perdue d’avance par un transfert rapide de compétences en échange du maintien de ses intérêts économiques dans le pays, le tout garanti par son ancienne administration coloniale. C’est l’invention du néocolonialisme !
Dès avant le 30 juin 1960, les militaires congolais ont le sentiment d’être les oubliés de l’indépendance. Pour eux, il n’y aura pas de promotion. Leur général belge va jusqu’à écrire sur le tableau noir : « avant l’indépendance = après l’indépendance ». Il n’en faut pas plus pour que les esprits s’échauffent et qu’éclate une révolte dont les signes avant-coureurs se faisaient sentir depuis plusieurs mois. […]
Le plan échafaudé par le gouvernement Eyskens s’effondre. Bruxelles décide alors de prendre les devants dans la journée du lendemain et ordonne aux forces métropolitaines d’occuper les quinze principales villes. Leur mission vise le maintien de l’ordre et la garde des installations vitales, notamment des centres de transmission, des dépôts d’armes et de munitions, des aérodromes. Cette décision revient ni plus ni moins à décider une occupation militaire d’un pays souverain par une force étrangère ! […] Mais le 11 juillet au soir, Bruxelles a bel et bien perdu le contrôle des événements.
Vers une reprise en main totalitaire ?
Le lendemain, le conseil des ministres qui se réunit à la rue de la Loi ressemble à un conseil de guerre. Un conseiller politique de Gaston Eyskens dépose une note préparatoire sur la table. Son contenu vise à établir une sorte de protectorat belge sur l’ancienne colonie avec l’aide de l’ONU et cherche à « obtenir l’élimination de certains chefs politiques congolais » qui selon le rédacteur du document « ont suffisamment démontré qu’ils ne méritent aucune confiance. » Les personnalités visées en particulier sont MM. Lumumba et Kashamura.
Bien entendu, le gouvernement belge n’affichera jamais ouvertement ses intentions. Aussi, pour savoir si cette note a été suivie, j’ai analysé en profondeur les archives militaires et diplomatiques pour y retrouver les instructions réellement données aux représentants sur place. Force est de constater que c’est une ligne très dure vis-à-vis du Congo qui est bel et bien adoptée.
[…]
Il semble donc bien établi que le gouvernement belge se soit lancé dans une tentative avortée de reprise de contrôle militaire sur son ancienne colonie. Ce fait ouvre une nouvelle perspective d’analyse sur les tragiques événements de juillet 1960 et accrédite la thèse congolaise de l’agression belge caractérisée. »
Article signé Hugues Wenkin pour Soir mag du 22/11/17
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