Xavier Hanotte, figure majeure du réalisme magique belge
Pour bien comprendre ce nouveau roman, il faut se rappeler qu’un des livres marquants du romancier bruxellois s’intitulait « Manière noire » (Belfond, 1995). Si le texte relevait formellement de la littérature noire, il n’utilisait les codes de celle-ci que pour brasser une matière infiniment plus large.
Les fictions de Xavier Hanotte, ce sont aussi entre autres, « De secrètes injustices » (1998), « Les lieux communs » (2002), ou encore ce très grand livre, authentique chef-d’œuvre, « Derrière la colline » (2000). Figure majeure du réalisme magique belge, Hanotte s’y entend en effet comme personne dans l’art du déplacement et du brouillage. Faisant un jour surgir physiquement, en plein présent, des figures du passé. Ou s’attachant une autre fois, une semaine avant le 11 novembre 1918 sur le champ de bataille de la Somme, aux derniers instants d’un certain Wilfred Owen, considéré comme l’un des plus grands poètes de la Première guerre mondiale. Ce qui correspond à l’exacte réalité. Mais dont un camarade survivant emprunterait plus tard l’identité. Ce qui relève en l’espèce de l’invention romanesque. A cet égard il n’est peut-être pas inutile de savoir qu’Hanotte lui-même n’est autre que le traducteur en français des œuvres de Wilfred Owen. Ce qui lui permet assurément de jouer des résonances et échos entre le réel, sa propre fiction et cette poésie. Ce long mais nécessaire préambule pour signifier à quel point la littérature de Xavier Hanotte, avec sa multiplication des plans narratifs, ne peut surtout pas se lire à plat. Par exemple quand elle met en scène, comme aujourd’hui dans « Un parfum de braise », un inspecteur de la PJ de la région de Bruxelles, Barthélémy Dussert, personnage récurrent dans le volet « noir » de l’œuvre, que l’auteur institue… traducteur d’un autre poète britannique d’une autre guerre mondiale, la Deuxième : Keith Douglas, mort également au combat, en France, pendant la bataille de Normandie. Une manière d’effet miroir redoublé, entre des personnages comme entre ceux-ci et l’auteur, qui relève fondamentalement du réalisme magique.
Les voies de la vengeance sont impénétrables, quand passe le réalisme magique
Inutile donc de chercher dans « Un parfum de braise » la poussée d’adrénaline d’un classique polar. Car on l’aura compris, l’intrigue ici n’est pas l’essentiel. L’intensité du plaisir se trouve ailleurs, dans le brillant jeu intellectuel et dans l’usage d’une langue de toute beauté. Disons simplement que Dussert reçoit la visite de Donato, un malfrat récemment libéré, qu’il avait eu déjà l’occasion de rencontrer dans un contexte plus tendu. Celui-ci avait partagé sa cellule avec Pintens, un peintre restaurateur d’art, faussaire à ses heures. Entre eux, l’ambiance n’avait pas été spécialement au beau fixe. A tel point que Pintens avait menacé son codétenu d’une vengeance, dès sa sortie de prison. Est-ce alors un hasard si Donato est atteint depuis quelque temps d’une affection dermatologique particulièrement douloureuse, une brûlure dans le dos, face à laquelle la médecine s’avère impuissante ? La suite appartient à l’imaginaire romanesque. Il faut simplement savoir que l’artiste avait été retrouvé pendu dans son atelier, alors qu’il travaillait à la restauration d’un tableau d’Evariste de van Meulebroeck (1578 – 1647), élève de Van Dyck et surtout personnage né de l’imagination de Xavier Hanotte. Son tableau représentait le martyre de Saint Laurent, qui fut condamné et brûlé vif sur un gril à Rome en 258. Le visage du saint martyr ressemblait à s’y méprendre à celui de Donato : les voies de la vengeance sont impénétrables, quand passe le réalisme magique.
Ainsi avance sur une multitude de plans la fiction de Xavier Hanotte. Sans compter tout ce qui relève de la vie intime de Barthélémy Dussert, autre chapitre de ce livre à tiroirs. Ni cette photo pleine page, placée en ouverture du récit, d’un autre peintre à l’œuvre devant son chevalet : Paul-L. Hanotte, le père de l’auteur, dont la toile grand format laisse apparaître dans sa partie inférieure encore blanche le dessin d’un personnage le dos sur un gril. Il ne manque pas même au roman de son fils une indéniable composante autobiographique. On comprendra que le noir ne se présente pas comme la préoccupation majeure d’un écrivain attaché d’abord aux harmoniques et correspondances de son récit. Tout cela porté par la richesse d’une langue qui réussit le tour de force d’une impeccable rigueur formelle et d’une indéniable puissance évocatrice. Le noir de Xavier Hanotte tient du noir de Pierre Soulages : il est fait de tant d’autres couleurs.
Jean-Claude Lebrun, Territoires romanesques 2023, 08/02/2024
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