« Une heure de joie »… ou Conan Doyle mis en pratique ! – Le Carnet et les Instants
Un coup de cœur du Carnet
Que voilà un ouvrage curieux ! De par son dynamisme. Qui se dépêtre d’un (faux) paradoxe : en dire beaucoup et, sans doute, vouloir exécuter un tour complet de la question tout en se révélant court, compact et… très comestible. À mille lieues d’un ennuyeux pensum. De par sa mise en page, aussi, ou sa mise en images : la moitié du livre consiste en couvertures de livres, des allures de Rosebud (nul doute qu’une larme perlera chez beaucoup au détour de l’une ou l’autre plongée vers nos lectures de jeunesse).
Christian Libens se coule dans son sujet, son micro-essai joue les mises en abyme d’un genre ancré dans la vie (et la mort) et plus rebondissant, en moyenne, que ses frères (présumés, étiquetés) plus littéraires. Qui exige beaucoup de travail (de la part de l’auteur) mais s’évertue à le masquer. À l’image de la langue employée, d’une fluidité imparable.
C’est donc un miracle d’opuscule ! Intégrité, dès la page de garde, quand Libens restreint son étude au roman policier belge… « de langue française », ou, plus avant, quand il renvoie à des collègues de référence (Luc Dellisse, Guy Delhasse, Jean-Louis Étienne, Patrick Moens ; les professeurs Thoveron, Dubois, Lits ou Aron, etc.). Structuration et clarté des informations dispensées, chaque micro-chapitre synthétisant une problématique tout en distillant une anecdote marquante… et en insinuant des contrepoints de réflexion douce-amère, des pointes d’engagement :
« Mais, chez ces gens-là [NDLA : suivez mon regard !], pardonne-t-on jamais les succès populaires ? »
Passons en revue quelques tiroirs ouverts dans la commode du genre !
Une définition du roman policier ? C’est « un récit rationnel dont le ressort dramatique essentiel est un crime, vrai ou supposé » (Jacques Sadoul).
Un « drôle de genre » ? Il possède de prestigieux ancêtres (Œdipe-Roi, Hamlet, Zadig… une préhistoire du sillon) mais des racines officielles aussi, un an 0 : Double assassinat dans la rue Morgue de Poe… traduit par Baudelaire – ce luxe ! ou cette réinvention ? – en 1842, de premières réussites (les inspecteurs Dupin et Lecoq) suivies, au début du XXe siècle, par les Holmes, Lupin, Poirot, etc.
Quid des « Belgian’s detectives » ? Le premier roman policier belge, publié en 1901, Maître Deforges, a été écrit par un collectif de jeunes avocats bruxellois. Cocasse ? D’autres pionniers sont évoqués mais un trait saillant est épinglé : nos deux plus grands auteurs sont nés à Liège, au début du XXe siècle, à cinq ans d’intervalle : Georges Simenon et Stanislas-André Steeman (SAS). Étranges convergences de temps et d’espace. Hasard ou nécessité ?
Simenon et Steeman ? Ils explosent tous deux dans les années 1930 à travers l’édition populaire parisienne, ils seront adaptés au cinéma avec succès (deux SAS par Clouzot, au moins, sont des chefs-d’œuvre : L’assassin habite au 21 et Quai des Orfèvres). Le millésime 31 est exceptionnel : Maigret résout huit enquêtes entre mars et décembre ; Monsieur Wens affronte quatre affaires et son auteur décroche le Grand Prix du Roman d’Aventures.
Y a-t-il une école belge ? Doit-on, comme bien des essayistes belges, la réduire à un unique âge d’or, les années d’Occupation, ou, au contraire, élargir le spectre des investigations ? Mais justement… Y a-t-il un rapport de cause à effet entre cette période d’ennui et d’angoisse et l’épanouissement du genre ? Comment interpréter que tant d’auteurs se soient retrouvés du mauvais côté (Louis Carette alias Félicien Marceau, etc.) ? Pourra-t-on un jour retrouver une collection policière du même acabit qu’un Jury (dirigée par SAS lui-même, éditée par le Bruxellois Beirnaerdt, 66 fascicules puis 25 livres brochés entre 40 et 44) ?
Au gré des pages et des allusions, la nostalgie nous étourdit (Marabout-Junior, André-Paul Duchâteau, Henri Vernes, Paul Max, Thomas Owen, la Série Noire, Le Masque…) mais Christian Libens nous ramène au présent, aux figures majeures de Jean-Baptiste Baronian ou Patrick Delperdange, à Barbara Abel et Nadine Monfils, à des éditeurs, à des collections. Avant de nous tendre vers l’avenir, ouvrant une foultitude de pistes et d’appétits de lectures.
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Philippe Remy-Wilkin
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