Une figure majeure du journalisme francophone, par Jean Jauniaux  

Dans la collection « Documents », les Editions Weyrich publient les Carnets noirs de Colette Braeckman. Celle qui est sans doute une des figures majeures du journalisme francophone, évoque dans ce livre – qui se lit d’une traite –, les étapes les plus marquantes d’une vocation et d’une carrière, mais aussi, fatalement, quelques dates charnières de l’Histoire du siècle passé et de celui-ci, depuis le début des années 70 jusqu’à la parution de ce livre, cinquante ans plus tard. On se souvient de la signature de Colette Braeckman au bas d’une infinité d’articles factuels, d’éditoriaux, de commentaires et d’interviews dans les colonnes du quotidien belge Le Soir. On sait qu’elle rassembla dans une dizaine de livres les analyses éclairantes des événements dont elle fut le témoin et dont elle rapporta la terrible réalité. Après un premier ouvrage consacré à l’immigration en Belgique ( Les étrangers en Belgique, Editions Vie ouvrière, 1973), un deuxième dédié à la révolution des œillets (Portugal, révolution surveillée, Rossel Editions, 1976), elle publiera des ouvrages sur l’Afrique, dont elle deviendra une spécialiste des anciennes colonies belges : le Rwanda, le Burundi et le Congo. Avec Thierry Michel elle réalisera un film-portrait du Docteur Mukegwe et, depuis sa « retraite » (mais dans ce métier est-on jamais à la retraite ?), elle nourrit un blog d’articles et d’analyses qui sont autant d’indispensables instruments de compréhension de notre monde.

Quant au livre, Mes carnets noirs, il constitue sans aucun doute un bilan mais aussi un témoignage exceptionnel d’une vie dédiée à cette vocation d’écrire le réel, de le comprendre, d’en témoigner, et, surtout, d’en partager l’évocation, de le rendre accessible à chacun. Pour cela, il faut une écriture limpide, un regard intransigeant, mais aussi, une émotion qui jamais ne peut s’absenter des grands récits. C’est ainsi que ce livre, évoquant dans son titre des carnets qui étaient régulièrement offerts à Colette Braeckman pour qu’elle y raconte ses souvenirs, évoque ce qui est plus personnel, plus intime. Jusqu’à présent, « il était trop tôt (…)pour provoquer la collision entre le lointain passé et le présent. ».  La journaliste nous dit qu’elle a finalement , « à contrecœur, à reculons, entrepris de feuilleter quelques chapitres (de sa vie) en s’excusant auprès de ceux qui connaissaient déjà toutes ses histoires. ».

La maladie et la mort précoce du père ont marqué l’enfance de la future journaliste à qui sa mère, pour « l’empêcher de poser des questions », avait donné comme consigne de lire chaque jour un des livres qu’elle rapportait de la bibliothèque. Elle choisissait, prémonition ?, des récits de voyage familiarisant l’enfant avec les expéditions de Frison-Roche, de Henry de Monfreid et d’autres…

L’émotion est dans la difficile et tardive évocation de l’enfance : « Durant longtemps, parler de ces années-là, c’était comme descendre dans la cave à charbon. ». De l’enfance de la « demi-orpheline », il y a la pudeur à dire qu’elle n’a plus de père, la honte d’une mère portant « le grand deuil », la solitude sociale d’une maison modeste, et puis les images du Congo transmises par un missionnaire qui « amenait sa part de rêve ».

Les noms s’égrènent, comme autant d’hommages,  au fil des étapes du métier de journaliste : Jean Brutsaert, Frédéric Kiesel, Jean Heinen, Lucien Latin. Il y eut ensuite, bien sûr, Yvon Toussaint et l’amie si chère, Bénédicte Vaes dont le nom est évoqué chaque fois avec un tremblement d’émotion.

Les événements du monde scandent dorénavant la biographie mémorielle, la vie privée, les articles, le premier livre : la Grèce des colonels, le premier reportage au Liban, un autre en Libye, le livre Les étrangers en Belgique…Un constante ? « le plaisir jamais assouvi d’écrire ». Après La Cité, il y eut un court épisode à l’hebdomadaire Spécial, puis, bien sûr, enfin !, Le Soir… qui la publie sans discontinuer depuis des décennies. Sans oublier les contributions à des journaux, émissions, magazines qui ont ouvert leurs colonnes à celle qui observe, discrètement : « J’ai aimé ce métier parce que j’aimais écrire, tout simplement. »

On ne poursuivra pas ici la chronologie de cette carrière exemplaire, alignée sur l’histoire du monde, menée tambour battant par une journaliste dont, complétant les multiples articles et les livres, ces  Carnets noirs  offrent un témoignage au plus près du cœur, qui, à n’en pas douter, suscitera des vocations pour ce métier dont elle retrace un cheminement exemplaire, le sien.

Sans doute a-t-elle ici mené à bien un de ses plus intenses « grand reportage », celui qui l’amène à investiguer, puis à raconter son enfance où vibrait déjà la vocation d’une petite fille enfant unique, dans une maison modeste dont l’adresse, rue du Silence, résonne comme un appel à ne jamais se taire.

Nous aurons bientôt l’occasion d’interviewer Colette Braeckman, mais nous souhaitions dès à présent témoigner de la lecture de ce livre et la recommander, toutes affaires cessantes.

Un article signé Jean Jauniaux pour L’Ivresse des livres, 16/12/2023.

« Mes Carnets noirs » de Colette Braeckman est disponible en librairie et sur notre e-shop :

Partager :