Un malin plaisir

Une bonne exclamation, bien vigoureuse, ne peut que susciter une réaction, émotion ou humeur. Celle-ci qui titre le recueil de dix nouvelles de Ziska Larouge, Au diable !  ne fera pas exception. Que l’on suive la conteuse ou s’empare de sa verve, on n’en entamera pas moins la lecture et celle-ci s’avère dès le premier texte en accord avec le titre puisqu’il a pour objet « Le coin du diable » : un texte majeur sur l’ensemble et long qui se divise en quatre parties. Cette histoire librement inspirée de la légende du « coin du diable » à Bruxelles invite à visiter l’atelier de José Mangano qui a assuré l’illustration de la première de couverture. Sensible, attachée à l’enfance et à son imagination, cette première nouvelle inaugure la série diabolique sans malice. Les suivantes  n’auront pas toujours la même candeur. Certaines de ces nouvelles sont même dramatiques, comme « Le Portefeuille », d’autres cyniques, comme « Qui a tué Johnny ? » ou « Lucille », lauréate du concours Désobéissance, aux éditions du Basson. Mais l’humour n’est jamais absent. La plus significative dans le genre aigre-doux est sans doute « Milie ».

Zizka Larouge reconnaît le goût qu’elle a aujourd’hui pour les textes courts dont elle s’est fait une spécialité. Elle a aussi dans le détail le talent de la formule brève, concentrée sur un verbe absolu, ce qui, à l’intérieur d’un même texte engage une savante montée en puissance. La nouvelle  particulièrement réussie, répondant à ces critères manifestement élus, est « Le Couteau ». Remarquable par sa focalisation sur un objet alors que l’essentiel est de camper des personnages qui ne demandent qu’à s’affronter dans un climat de tension progressivement insoutenable.

Au diable!L’hôtesse provoque. Son rire éclate. Elle se penche sur la table. Les verres tintinnabulent. L’échancrure de la robe dévoile. Le vacancier s’émeut. L’hôte frémit. Du vin coule sur la nappe. La gorge s’offre. Le vacancier déglutit. L’hôte se crispe. Les yeux noirs de Stéfano dédaignent. La jeune fille s’agace. La vacancière, fanée, observe. Les cœurs saignent. Envies de meurtre
[…]
L’hôtesse écrit. Les mots s’embrasent, les phrases s’alignent. Le temps s’arrête. Elle n’entend pas les vacanciers se disputer à nouveau. Gronder le tonnerre. Claquer la porte. Battre la pluie. Grincer le plancher. S’affoler les vagues et le vent. Elle est au centre de son monde.

Cette nouvelle dédiée à Marguerite Duras lui rend un bel hommage en reprenant un peu de son chant rituélique : soit ponctuer le récit de commentaires off répétés.

Il y aurait comme un mouvement d’exode. Chacun, hormis l’hôtesse, et pour les raisons qui l’occupent, déciderait de quitter la maison dès le lendemain, dit la cinéaste.

Parallèlement à l’écriture d’un roman paru en 2015, Le plus important, Larouge a sans doute raison d’opter pour la nouvelle comme genre car elle excelle dans le travail du raccourci.

Jeannine Paque

Extrait de la rubrique Recensions du Le Carnet et les Instants.  Son blog, qui traite de l’actualité de nos Lettres et propose chaque jour une recension d’une parution récente en littérature belge. http://www.promotiondeslettres.cfwb.be/index.php?id=1588

 

« Au diable! » de Ziska Larouge est disponible en librairies et sur notre e-shop au prix de 14 €.

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