Un livre pour rompre avec le « Congopessimisme »
Dans son dernier ouvrage, Alain Huart tente d’expliquer comment le Congo pourrait répondre aux défis climatiques et représenter une solution pour la communauté internationale.
Ce livre-ci, Congo peuples et forêts, Alain Huart a mis cinq ans à l’écrire. Vétérinaire de formation, agronome de terrain, auteur de nombreuses monographies célébrant la diversité des provinces et surtout des multiples peuples du Congo, l’auteur a voulu rompre avec le Congopessimisme qu’inspire trop souvent l’actualité. Avec lucidité, sans angélisme, mais avec l’espérance collée aux semelles, cet homme qui parcourt depuis des décennies le Congo profond tente d’expliquer comment cet immense pays pourrait répondre aux défis climatiques et représenter non plus un problème pour la « communauté internationale », mais une solution… D’emblée, il rappelle que le bassin du fleuve Congo demeure le dernier puits de carbone de la planète : « À l’inverse de l’Asie du Sud-Est et de l’Amazonie, où les dégâts sont irréversibles à cause des exploitations minières et de l’élevage extensif, le bassin du fleuve Congo séquestre 600 millions de tonnes de CO2 de plus qu’il n’en émet. »
À l’instar des forêts du Congo, l’ouvrage d’Alain Huart se présente en plusieurs strates. Il s’adresse à un public multiple : à côté de pages sobrement didactiques, les amateurs de beauté découvriront des photos splendides captées au plus profond du pays, des portraits d’hommes, de femmes qui frappent par leur infinie dignité, dont les sourires traduisent l’hospitalité et la résilience. Il montre des pêcheurs, des agricultrices qui exhibent avec fierté leur panier rempli d’épis de maïs, mais aussi leur carnet d’épargne, des enfants portés sur le dos et serrés dans un pagne coloré. L’ouvrage est aussi riche en graphiques et en notes qui rappellent que 50 %de la population a moins de 15 ans et que les communautés paysannes sont composées de gens attachés à leur terroir, bien plus organisés qu’on ne pourrait l’imaginer.
Les fronts forestiers avancent
À propos d’un pays trop souvent présenté de manière grossièrement simplifiée, l’auteur explique sa démarche : « Il m’a semblé que l’approche émotionnelle était la plus importante et qu’il fallait toucher par la beauté, celle des personnes plus encore que celle de la nature… Je veux que ceux qui ouvrent ce livre aient un sentiment de découverte, qu’ils soient heureux de lire cet ouvrage, de le feuilleter lentement, en réfléchissant, en admirant… Bien sûr, des photos montrent combien il est difficile de se déplacer, en moto ou à bord d’une pirogue sur laquelle on a mis des planches… Mes images racontent le Congo tel qu’il est, mais sans misérabilisme : j’ai voulu montrer des personnes vivant dans leur terroir, difficilement certes, mais sans être jamais abattues. »
Au-delà des photos, qui occupent une grande place, le propos de l’auteur se veut en rupture avec tous les clichés : « J’ai consacré un chapitre aux fiertés paysannes, rappelant que dans les campagnes personne ne mendie, on travaille… Durant vingt ans, je me suis trouvé aux côtés des organisations paysannes et j’ai voulu montrer que cette agriculture-là est beaucoup plus respectueuse de l’environnement. Dans un monde où les ressources se raréfient, la sobriété du mode de vie de ces gens souvent méprisés devrait nous interpeller… »
Alain Huart admet cependant que les paysans sont accusés de détruire la forêt qu’ils brûlent et défrichent… « Il faut reconnaître qu’au Congo, c’est la foresterie artisanale qui provoque le plus de dégâts. Contrairement à d’autres pays d’Afrique, l’exploitation forestière formelle a un impact très limité. Voyez la carte des “fronts forestiers”, ceux où la forêt recule… Elle coïncide avec la carte de l guerre, de la surpopulation : autour de Kinshasa, une ville de dix millions d’habitants, la déforestation s’étend sur un pourtour de 250 km ! Dans l’est du pays, c’est la guerre qui chasse les populations et les oblige à se concentrer autour des villes, dans le Kasaï surpeuplé, les industries ont disparu et dans l’Equateur, les champs ne sont plus fertiles tandis que des populations nomades descendent en poussant leurs troupeaux…
C’est pour cela qu’il faut soutenir les gens dans leurs activités agricoles. Il faut que là où ils ont défriché, ils puissent se sédentariser, sans avancer plus loin… C’est ce qui se produit dans l’est du pays où la culture du cacao a sédentarisé plus de 100 000 familles dans la région de Beni ou Mambasa… mais il est vrai aussi qu’une grande partie de ce cacao part en fraude vers l’Ouganda… »
Un « optimisme de la volonté »
Alain Huart ne nie pas les apports de la colonisation : « Elle avait implanté des cultures pérennes, qui apportaient des ressources dans le milieu, elle avait créé des instituts de recherche comme Yangambi au Sud-Kivu, très importants. La zaïrianisation (nationalisation des entreprises appartenant aux expatriés et imposée par Mobutu, NDLR) a malheureusement détruit tout cela. Mais aujourd’hui, on recommence à associer cultures vivrières et commerciales et plusieurs ONG appuient avec succès la production de cacao. Dans l’est, en dépit de la guerre, la culture du café progresse, les producteurs sont soutenus par des organisations telles que Comequi (commerce équitable), Virunga et bien d’autres… Il y a là-bas un véritable dynamisme agricole… Par contre, autour du parc des Virunga, on déplore une déforestation massive : les gens produisent du charbon de bois, le makala, qui trouve des acheteurs au Rwanda. Dans le parc des Virunga, les alentours du volcan Nyiragongo, une zone aujourd’hui contrôlée par le mouvement M23, sont désormais dénudés, les rebelles ont laissé s’opérer des razzias… »
Malgré la guerre à l’est, la corruption persistante, l’ouvrage d’Alain Huart demeure empreint d’une sorte d’« optimisme de la volonté ». Il démontre qu’avec le concours des populations, des solutions existent : « La forêt pourrait être mise “en défense” et se régénérer d’elle-même… Comme cela existe ailleurs dans le monde, les populations pourraient être rémunérées pour assurer la protection du milieu, c’est ce qui s’appelle “paiement pour service environnemental”. Des photos montrent comment on fait déjà pousser des ananas dans des forêts qui se régénèrent…
La foresterie communautaire, gérée au niveau du village et avec l’accord du chef, est très importante et elle prend de l’ampleur, en accord avec les coutumes. J’ai tenu à illustrer la fierté de gens qui expliquent comment ils exploitent durablement les ressources de leurs forêts. Ce mécanisme fondé sur les communautés touche déjà 3 millions et demi d’hectares… »
L’auteur insiste : « Au Congo, il n’y a pas que les mines. Au Katanga aussi, on produit du maïs suivant cette formule communautaire. On réussit ainsi à préserver la forêt et même à barrer la route à des entreprises minières. On ne sait pas assez qu’au Congo, la gouvernance locale et participative est une réalité, mais il faut lui donner des moyens. »
Atypique et multidimensionnel
Alain Huart illustre ses propos par de photos remarquables tirées du Congo profond, et il assure qu’il n’en a pas retouché une seule. En homme pratique, il ne néglige aucune des questions que l’on se pose à propos de l’Afrique : crise migratoire, impact du réchauffement climatique et des catastrophes naturelles, méfaits des sociétés multinationales qui extraient à court terme des ressources non renouvelables. Cependant, l’homme de terrain propose aussi des solutions, multiples et accessibles à la coopération internationale : redistribuer les « crédits carbone » aux communautés de base, relancer l’éducation au niveau local, promouvoir et rétribuer correctement les « emplois verts », miser davantage sur le monde rural et le faire bénéficier des moyens financiers disponibles.
Cet ouvrage atypique, multidimensionnel, ne s’adresse pas seulement à ceux qui souhaitent retrouver ou découvrir la beauté du Congo rural, à ceux qui croient que cet immense territoire, si souvent évoqué pour ses problèmes, offre aussi un éventail de solutions. Il interpelle ceux qui ont les moyens d’investir dans l’avenir de la planète, qu’ils soient militants écologistes ou agents de coopération. Et enfin, proposant des solutions concrètes, il réjouit ceux qui refusent de désespérer de l’Afrique sinon de l’avenir lui-même.
Un article signée Colette Braeckman, pour le journal Le Soir, 08-09/04/2023
« Congo, peuples et forêts » de Alain Huart
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