Trois-Ponts, verrou de la bataille des Ardennes
La confluence perpendiculaire de deux rivières, le tout encaissé par quatre massifs escarpés, n’aide pas Trois-Ponts à se préserver des combats en ce mois de décembre 1944 alors que se profile l’opération Wacht am Rhein / Herbstnebel… Coûte que coûte, la Kampfgruppe Peiper tente de forcer le passage vers la Meuse par la vallée de l’Amblève qui suit un axe d’Est en Ouest. Tandis que la Salm, sur un axe remontant du Sud au Nord, barre potentiellement le passage de l’aile gauche de la 6. Panzer-Armee condamnée à glisser le long des Hautes Fagnes faute de parvenir à forcer leur passage.
Ce petit coin des Ardennes reste globalement inconnu du grand public gavé par des tonnes de littérature au sujet du rôle crucial joué par Saint-Vith et plus encore par la 101st US Airborne Division à Bastogne. Pourtant, la contre-offensive allemande perd toute chance de succès dès ses premières heures : devant les Hautes Fagnes, dans la Schnee Eifel où les unités de la 106th US Infantry Division offrent mine de rien quelques heures de répit à Saint-Vith avant de capituler, ou sur l’Our où la 5. Panzer-Armee perd deux jours pour venir à bout des très faibles premières lignes américaines. Ces retards à foison permettent aux premiers renforts américains prestement expédiés dans les Ardennes d’établir dans l’urgence un second rideau défensif qui de Butgenbach, à Noville en passant par Stavelot, Stoumont, Hotton achève de ruiner les derniers espoirs allemands faussement grisés par les kilomètres d’avance finalement réalisés.
L’historiographie évoque à peine Trois-Ponts alors que le secteur se retrouve presqu’en continu au cœur de l’attention des belligérants. Le 18 décembre 1944, le génie américain fait sauter le pont sur l’Amblève quand arrivent les éléments de pointe de la Kampfgruppe Peiper qui subit ici un nouveau contre-temps. Si cet épisode et le rôle des « Damned Engineers » sont assez bien connus des lecteurs en raison l’attention historiographique portée à Joachim PEIPER et à ses hommes, la suite des événements dans le secteur passe globalement plus inaperçue.
Après le coup d’arrêt de Stoumont et le repli sur La Gleize, la survie de la Kampfgruppe Peiper passe désormais par Trois-Ponts et sa région depuis que Stavelot échappe de nouveau aux Allemands.
En parallèle, suite à la chute de Saint-Vith et au repli de la 7th US Armored Division, la 9. SS-Panzer-Division peut enfin tenter de progresser vers Vielsalm.
Heureusement pour les Américains, la 82nd US Airborne Division arrivée en renfort ne s’arrête pas à Bastogne comme initialement prévu, mais rejoint le secteur. La Kampfgruppe Peiper se retrouve pressée par la 30th US Infantry Division sur ses arrières droits, la 3rd US Armored Division face à elle et par la 82nd US Airborne Division qui vient la menacer sur son flanc gauche. Mais le I. SS-Panzer-Korps, avec la Kampfgruppe Hansen, ne parvient ni à forcer le passage au-delà de la Salm, ni à rejoindre la Kampfgruppe Peiper dont les hommes rejoignent finalement les lignes allemandes à pied le 25 décembre 1944. Trois-Ponts peut souffler après être resté dix jours dans la fournaise.
Les Allemands abandonnent leurs velléités offensives dans le secteur pour se concentrer sur Bastogne pourtant déjà désencerclée, mais c’est au tour des Américains de vouloir pousser. Le 3 janvier 1945, le flanc Nord de ce qui n’est plus qu’un saillant allemand se réveille pressé par l’attaque de la 1st US Army. Les rôles changent. La 62. Volksgrenadier-Division remplace les hommes de la 1. SS-Panzer-Division et hérite de la responsabilité de défendre le secteur pour empêcher la 82nd US Airborne Division de franchir à son tour la Salm, en direction de l’Est cette fois-ci. Bref, plus de dix jours d’intenses combats secouent encore le secteur !
Le récit de ces affrontements, le tout accompagné de plusieurs cartes, permet aux lecteurs de découvrir une facette méconnue de la bataille de Ardennes. Ils peuvent ainsi toucher du doigt ces multiples frictions qui les unes ajoutées aux autres font pencher le sort d’une bataille d’un côté ou de l’autre. En mai 1940, le brouillard de la guerre clausewitzien est totalement défavorable aux Alliés. En décembre 1944, c’est l’inverse.
Très appréciable, le livre de Pascal HEYDEN est presque parfaitement équilibré d’un point de vue pagination entre le moment offensif allemand et celui allié. Une qualité malheureusement rarissime sur un livre qui traite de la bataille des Ardennes. Pourtant, maîtriser cette balane événementielle s’avère indispensable car la bataille des Ardennes joue un rôle essentiel dans le rapport de force qui se construit avec l’URSS. Faute d’une stratégie efficiente, les Alliés occidentaux perdent trois mois à l’issue de la bataille de Normandie durant lesquels ils sont incapables de profiter de l’effondrement du front allemand à l’Ouest pour réaliser une percée décisive sur le sol du Troisième Reich et permettent à leur adversaire de reconstituer une force de frappe conséquente. Après ces errements, dans les Ardennes mêmes, la résistance des premières lignes et la réaction de états-majors sont globalement irréprochables.
La contre-attaque alliée l’est cependant beaucoup moins. Malgré un mouvement de rocade parfaitement exécuté, George PATTON et sa 3rd US Army patinent au Sud du saillant (voir Mook 1944 n°5). Au Nord, l’offensive générale lancée à partir du 3 janvier 1945 reste laborieuse malgré un rapport de force très favorable. Plus de deux semaines sont à nouveau perdues. Pire, le niveau des pertes est tel qu’il faudra panser ses plaies avant de repartir de l’avant. Pendant ce temps-là, l’Armée rouge déroule, se permettant même le luxe de privilégier les conquêtes territoriales à la défaite du Troisième Reich. Le pacte germano-soviétique de 1939 permet à l’URSS avec la bénédiction de son allié nazi d’étendre son influence. Le temps perdu par les Alliés occidentaux à l’automne 1944, les pertes concédées par ces derniers dans les Ardennes pour résorber le saillant allemand, permettent à Josef STALINE d’amplifier considérablement ses gains initialement obtenus lors de son alliance avec le régime nazi qui contribue au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en Europe.
Avec cet ouvrage, Weyrich et sa cohorte de spécialistes des Ardennes belges avec le label 1944, porté par le Mook éponyme, lèvent un nouveau voile sur cette bataille pourtant si densément documenté en apparence. Mais peut-être aussi tant biaisée par le récit officiel dont peu d’auteurs osent encore, même des décennies plus tard, sortir des sentiers strictement balisés.
Le regard belge permet de ne pas oublier le supplice vécu par les civils au cours des combats. Victimes de crimes de guerre, de pertes collatérales et voyant leur environnement marqué pour longtemps par les stigmates des violents combats qui se déroulent sur leurs terres, ils payent un lourd tribut au moment des faits qui se prolonge également bien après.
Prendre l’angle de vue d’un lieu permet de mieux appréhender le poids de la géographie et du terrain, plus que de suivre une unité dans ses pérégrinations. Trois-Ponts et sa région le permettent d’autant plus volontiers que les combats s’accrochent désespérément à ce secteur tout au long de la bataille, au moment de l’attaque allemande, comme de la contre-poussée américaine.
La bibliographie est présentée de façon intelligente avec une hiérarchisation des références en fonction de leurs origines.
Le seul regret concerne la forme du livre, certes pratique à lire en voyage dans le métro ou en train. Son format broché et sa taille presque de poche ne permettent pas une mise en valeur parfaite des illustrations et des cartes. Ces dernières, petites, manquent quelque peu de lisibilité. Dommage alors que la compréhension de la géographie des lieux est absolument indispensable pour saisir l’importance des combats qui s’y déroulent. Outre son aspect pratique à tenir dans les mains, l’autre avantage du format, non des moindres, est le prix par rapport aux livres cartonnés (pas loin du simple au double). Cela n’empêche pas de bouder son plaisir et d’en redemander !
Publié le 21 décembre 2021 par 3945km
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