Trente ans de nouvelles

De tous les auteurs belges francophones, Michel Lambert a sans doute à son actif une des productions les plus fournies dans le genre de la nouvelle puisqu’à ce jour, on dénombre onze recueils parus parallèlement à son activité de romancier.

La parution de son premier ouvrage remonte à 1987 et le plus récent date de 2022, tandis que plusieurs prix littéraires en ont souligné la qualité. Les éditions Weyrich ont eu la bonne idée de rassembler une douzaine de textes issus de différents recueils et couvrant une trentaine d’années, ce qui nous offre un panorama de sa production. À les lire, on mesure d’emblée la très grande homogénéité de son œuvre. Celle-ci se traduit dans son écriture, mais aussi et surtout dans l’univers narratif d’une rare constance, à telle enseigne que l’on peinerait à reconstruire une chronologie sans consulter les notes qui précisent les ouvrages parus dont elles ont été extraites.

L’écriture de Michel Lambert se distingue par son économie serrée. Quelques lignes tout au plus suffisent à camper une ambiance, à animer des personnages. Cette sobriété est teintée de délicatesse et d’humour, elle laisse place au mystère, à la part cachée des faits et des personnages. Les dialogues sont taillés au cordeau, limités au strict nécessaire, laissant une large part au non-dit. Les personnages sont le plus souvent des écorchés dont l’existence ne tient qu’à un fil, celui grâce auquel ils s’accommodent tant bien que mal de leurs fêlures. Ils croisent des amis, ou simplement des connaissances, d’anciennes amours et leurs rencontres sont souvent des rituels destinés à rendre vie au passé commun, à des moments où le bonheur a été entrevu, juste frôlé. Ces hommes et ces femmes sont artistes, ou trouvent dans l’art un réconfort, ils n’hésitent pas à jouer la comédie dans un scénario où personne n’est dupe de ce qui se passe vraiment jusqu’à ce que les trajectoires se séparent à nouveau. La tonalité est proche de celle des mélancolies que l’on entretient pour le plaisir qu’elles procurent, cette joie très personnelle que l’on éprouve à revenir sur le passé, à se remémorer des temps meilleurs qui, narrés aux autres, prennent si facilement des allures d’exploits. À vrai dire, au fil des pages, on ne peut, en mesurant le temps qui a séparé ces écrits brefs, qu’être impressionné par l’émotion intacte qu’ils suscitent à leur lecture ou relecture. N’est-ce par le propre des œuvres littéraires abouties que de résister à l’usure du temps, fortes de leur portée intemporelle et universelle ?

Auteur confirmé, Michel Lambert est aussi fin connaisseur de l’univers de la nouvelle. On se souviendra qu’il a été un des fondateurs et l’animateur du Prix Renaissance de la nouvelle, distinction franco-belge mise en place pour valoriser ce genre littéraire qui peine encore à séduire un large public dans le monde francophone. Ce qui a pour conséquence que la publication de nouvelles reste une aventure éditoriale à risque, ou plus risquée encore. Aussi lit-on avec intérêt la douzaine de pages qui closent Sosies de l’amour et qui rendent compte d’un entretien mené par Christian Libens dans lequel l’auteur livre sa vision du genre littéraire bref, ce qui en fait la spécificité et la richesse en regard notamment du roman. Plus globalement, il se confie aussi sur sa pratique de la lecture et de l’écriture et conclut : « Il faut faire confiance aux mots et à des tas de choses enfouies en vous et qui vont ressurgir tout à coup, sans prévenir. Le bonheur est alors intense. Je crois qu’il faut écrire avec la main invisible de l’inconscient et la main rêveuse de la poésie. »

Thierry Detienne pour Le Carnet et les Instants

« Sosies de l’amour » de Michel Lambert est disponible en librairie et sur notre e-shop :

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