Tensions entre l’éditeur Weyrich et son assureur
Sinistré il y a deux ans, l’éditeur wallon attend une juste indemnisation du manque à gagner sur son fonds éditorial. Avec une trésorerie sous tension, Weyrich annonce se retourner contre son assureur.
Le sinistre s’est produit à Longlier (Neufchâteau) il y a maintenant plus de deux ans, dans la nuit du 19 au 20 mars 2021 : lors d’une fête nocturne, des voisins ont posé un parasol chauffant alimenté au gaz, près du hangar loué par l’éditeur Olivier Weyrich.
Peu après 2 h 30 du matin, une défaillance ou une maladresse liée à ce dispositif a provoqué l’incendie complet du hangar, de son matériel logistique (racks de rangement, gerbeur) et des quelques 100 mètres cubes de stock qu’il contenait. Malgré l’intervention des pompiers venus de cinq localités différentes, le sinistre du stock est total, des milliers de livres dégagés à la pelleteuse achèveront de se consumer durant tout un weekend sur le crassier de Tronquoy.
Sur 700 titres au catalogue, 25 % ont littéralement été « tués » par l’incendie, ils ne peuvent pas être réimprimés à un coût acceptable.
À l’époque, on retient que les locaux administratifs jouxtant le hall n’ont heureusement pas été touchés et l’éditeur montre une capacité de rebond exemplaire. « Heureusement, les choses se présentent correctement avec les assurances », déclare-t-il d’emblée à Sudinfo. Après avoir retrouvé en moins d’un mois un nouveau lieu de stockage à quelques centaines de mètres de l’entreprise, dans un ancien garage Opel – qu’il loue toujours aujourd’hui –, l’éditeur entame dès que possible la réimpression partielle du stock selon une priorisation prudente : les nouveautés et livres prêts à sortir n’étaient pas impactés (ils étaient chez l’imprimeur), mais il faut reconstituer le stock d’ouvrages récents publiés depuis l’automne 2020. Les ouvrages car tonnés, de confection plus complexe, seront réimprimés ensuite. L’éditeur est alors en mesure de reprendre ses activités commerciales, fût-ce de manière limitée.
Le rebond
La relation avec l’assureur Axa se passe de manière constructive : le propriétaire du hall est indemnisé, les éditeurs tiers comme Lire et Écrire, ou Image publique Editions (qui se faisaient distribuer par Weyrich SA) sont eux aussi indemnisés.
En ce qui concerne le stock propre de Weyrich SA ainsi que son matériel logistique (rangement, chariot élévateur), l’éditeur ne rencontre aucune difficulté à se faire indemniser sur la base de la valeur comptable. Comme nous le confirme Axa, des provisions ont été régulièrement versées.
Alors, où est le problème ? Nous sommes en 2021, le mode d’impression est toujours l’offset. S’il faut remplacer un stock de 2.000 ou 3.000 exemplaires d ’un même titre, ce n’est a priori pas un problème bien que les prix du papier, des cartons d’édition et de l’aluminium nécessaire à la confection de plaques offset commencent à s’envoler. La valeur comptable ne correspond déjà plus exactement au coût de réimpression. Mais le fossé se creuse sur tout sur les ouvrages de fonds éditorial : ces livres qui se vendent sur le temps long, dont le stock est parfois de 100 ou 300 exemplaires seulement et dont la rentabilité commerciale n’est possible que s’ils sont réimprimés d’un coup, à épuisement des stocks, lorsque l’éditeur peut à nouveau commander à l’éditeur un fort tirage. Le problème est d ’autant plus criant s’il s’agit d’ouvrages cartonnés, d’un assemblage complexe : commander un mini tirage serait impayable. Sur 700 titres au catalogue, 25 % ont littéralement été « tués » par l’incendie, ils ne peuvent pas être réimprimés à un coût acceptable, qui permette de dégager une marge bénéficiaire correcte. « Le coût de réimpression est tel qu’il est impossible de reconstituer le stock brûlé », explique Olivier Weyrich. « Il s’agit pour la grande majorité de livres cartonnés dont la fabrication exige un tirage minimum bien supérieur aux exemplaires disparus. » Pour ces livres-là, la valeur comptable retenue par les assurances est une fiction.
Manque à gagner
Après expertise de l’assureur, l’éditeur a opposé une contre-expertise que la société Axa tarderait à traiter. « Ce que je réclame », dit aujourd’hui Olivier Weyrich, « c’est un dédommagement sur le chiffre d’affaires que j’aurais dû réaliser sur la partie du stock que je n ’ai pas pu réimprimer. » Le raisonnement est le suivant : « 50 % du chiffre d ’affaires vient d ’ouvrages neufs et 50 % d ’ouvrages de fonds. À partir du moment où on ne réimprime que les ouvrages récents, on a un manque à gagner sur les titres anciens, le fonds éditorial. Or, le bureau d ’experts mandaté par Axa n’a voulu prendre en compte que le manque à gagner par rapport au chiffre d’affaires des exercices précédents. Le manque à gagner par rapport au non-réimprimé, ils n’ont pas voulu en tenir compte. » Weyrich S A est aujourd’hui, en Belgique francophone, un éditeur généraliste parmi les plus importants, un éditeur qui a investi dans son catalogue, son fonds éditorial. Or, c’est justement là, sur ce fonds, qu’il constate un désaccord avec son assureur. « Si le chiffre d’affaires avant et après sinistre semble être le même, il n’est pas composé de la même manière : c’est la croissance sur les nouveaux titres qui nous permet de compenser la non-vente des titres anciens. Mais cette croissance, ce sont les efforts de relance de l’entreprise qui l’ont permis. On se retrouve amputé d’une partie de notre catalogue, le catalogue historique. »
L’assureur Axa, lui, « attend des documents complémentaires, en collaboration avec l’expert de l’assuré » : « L’expert d’Axa a d’ailleurs lui-même recontacté l’expert de l’assuré cette semaine pour fixer une nouvelle réunion. » C’est sur ces délais que le litige se tend.
Actions en justice
L’éditeur est amer car il n ’oublie pas qu’en Belgique, la moitié des entreprises incendiées sont vouées à la faillite. Il ne veut pas être parmi ceux qui basculent.
« Nous sommes aujourd’hui en situation de tension. On est très dynamiques, on se réinvente, mais on a des problèmes de trésorerie, évidemment. » Alors, concrètement, face à un assureur qui, selon l’éditeur, tarde à se prononcer sur la contre-expertise, « On commence à avoir une situation de dommage complémentaire », estime Weyrich. « D’une part, on va bien sûr intervenir volontairement dans la procédure contre les auteurs présumés des faits qui ont mené à l’incendie. C ’est le volet “dommage en droit commun”. Pour régler le “dommage conventionnel”, où le dialogue cale avec l’assureur, nous allons demander au juge la condamnation d’Axa à payer ce qui nous paraît être le solde de la couverture d’assurance. » Il le regrette mais constate que, « deux ans après l’incendie, la perte (sur chiffre d’affaires) continue, fatalement, tant qu’on ne reconstitue pas le fonds » : « Et la maison d’édition s’affaiblit dans sa capacité à produire et à réimprimer. »
Alain LALLEMAND (Le Soir 1-2/04/2023)
Photo d’en-tête : © Mélodie Mouzon SudPress