Sur les traces de Pierre Nothomb, écrivain-poète du Pont d’Oye

Habay-la-Neuve est un village parsemé de hauts lieux de poésie et de légende, où le souvenir des personnalités marquantes qui ont foulé son sol est régulièrement mis en valeur par de nombreuses initiatives d’entretien de la mémoire collective. La localité a honoré son écrivain en renommant la Grand-Place, où les vieux marronniers, entourant la structure si énigmatique aujourd’hui de l’ancien bassin, plongent leurs racines dans la grande histoire du lieu. Sur cette place Pierre Nothomb il est là, à droite, de profil, le visage tourné vers son château, sur la fresque de la façade du Pachis.

Il regarde aussi passer ceux qui arpentent aujourd’hui les rues et les sentiers du « plus beau pays du monde », comme il l’affirma encore au matin de sa mort le 29 décembre 1966. En se dirigeant vers l’église, on ne peut qu’être impressionné par les deux imposantes tours qui veillent sur le village depuis plus d’un siècle. On descend ensuite vers le Châtelet par le chemin escarpé dit de « l’Horle-Nollet ». Selon l’écrivain, la marquise Louise de Lambertye vécut les dernières années de sa vie dans une maison qui se trouve non loin de là.

Une fois au niveau de la Rulles, il faut monter vers la chapelle de Bonhomme et on parvient à cette place où les chênes Bonaparte, plantés en 1811, marquent l’entrée de la forêt d’Anlier. C’est là que Pierre Nothomb instaura en 1937 la Bénédiction de la Forêt. Cette cérémonie unique, célébrée encore aujourd’hui, rend un hommage à la nature dans son immensité et dans sa générosité. En s’aventurant plus loin, sur la route qui mène à Martelange, on aperçoit sur la droite une pierre dressée sur un bosquet, entourée d’arbustes. C’est un monument commémorant le passage du poète Pétrarque qui traversa la forêt au xive siècle. Pierre Nothomb le fit ériger en 1947 avec l’Académie luxembourgeoise, institution dont il fut membre fondateur en 1934. En revenant en arrière et en tournant à gauche, on prend la direction du domaine du Pont d’Oye.

Le château se dévoile progressivement. Il est possible, aux alentours de ce joyau rose aurore qui s’affirme devant la forêt profonde, surtout aux heures d’aube et de crépuscule, de pénétrer un instant dans l’intimité des lieux qui virent l’écrivain-poète d’Habay-la-Neuve méditer et s’émouvoir. Quelle émotion, plus loin encore, devant son tombeau aménagé seul au bord du lac dans une clairière avenante !

En s’installant officiellement au château du Pont d’Oye en 1932, Pierre Nothomb réalise l’un des actes les plus importants de sa vie. Depuis sa naissance à Tournai le 28 mars 1887, il est animé par la profonde volonté de se réenraciner dans la terre qui avait vu s’accomplir les hauts faits de ses ancêtres : « Ardenne ! Ardenne ! Et vous, pays gaumais qui êtes mien aussi dans la couronne de vos harmonieux coteaux. Et vous, pays plus cher encore du vieux parler luxembourgeois, braves cantons de la frontière, et les fiers cantons d’au-delà où, de village en village aussi, je retrouve cet autrefois qui tout à coup devient présent. […] Je reprends racine. », écrit-il lorsqu’il arrive en province de Luxembourg.

Géographe lyrique, il interprète les paysages, ressent la présence de l’Histoire, a le souci de la terre et des morts, tant d’attributs barrésiens qui le guident longtemps dans l’écriture. Ce n’est donc pas par hasard qu’il choisit le Pont d’Oye, le domaine étant idéalement situé au carrefour de l’Ardenne et de la Lorraine sur cette ligne de faîte qui est l’objet majeur de sa pensée politique. C’est la ligne de partage des eaux entre les bassins versants de la Meuse et du Rhin. Cette dorsale, qui traverse plusieurs pays européens, lui évoque avec nostalgie l’ancienne Lotharingie. Il voit dans la Belgique, qu’il aime et dont il expose les richesses et les traditions dans La ligne de faîte (1944), une destinée dans la lignée lotharingienne. Bien que nombre de ses premières œuvres aient été marquées par un engagement intense dans la promotion du nationalisme belge, il publie, après la Seconde Guerre mondiale, une chronique visionnaire pour l’Europe qui sera considérée comme l’aboutissement de son œuvre et la conjonction de ses carrières littéraire et politique : le cycle d’Olzheim (1944-1962). Cette série de cinq romans suit les péripéties du prince Jean-Lothaire d’Olzheim, dernier descendant de Charlemagne, dans les intrigues politico-historiques qui agitent l’Europe de la moitié du xxe siècle et préfigure l’alliance des peuples européens.

La religion et la nature sont également pour lui la source d’une inspiration féconde. Ses écrits, de ses premiers poèmes de jeune chrétien composés à la Belle Époque aux textes puissants publiés à l’automne de sa vie, sont traversés par les questionnements spirituels d’un fervent croyant passionné par ce que Jean Mergeai qualifie de « quête du paradis perdu ». C’est la recherche du monde d’avant le péché originel, accompagnée d’une large réflexion sur les implications de la faute. Les mystères de la tentation, de l’amour et de la faute, de la mort et du conflit entre chair et esprit sont récurrents, que ce soit en poésie : L’Âme du Purgatoire (1913), Clairière (1941), Michelange suivi de Surlimbes (1953) ou en roman : Vie d’Adam (1928), Jacob et l’ange (1955). La Dame du Pont d’Oye (1935) est l’occasion d’évoquer un autre paradis perdu, le monde raffiné, voluptueux, intrigant des fêtes galantes du xviiie siècle. Sa fascination pour la nature et pour un être très inspirant, l’arbre, se reflète magnifiquement dans les recueils Arbres du soir (1961) et L’été d’octobre (1964). Il aime les arbres, car leur exploration profonde du sol, enracinés durablement à la terre qui les a vus naître et leur élévation haut dans le ciel, vers l’inatteignable, en font la métaphore d’une vie prise entre les tourments de la question de soi, de l’identité, des origines et les aspirations mystiques inhérentes à la nature humaine.

En pénétrant dans tous ces lieux qu’il aimait, en marchant sur ses traces, en lisant ses œuvres, toutes encore accessibles aujourd’hui et en rencontrant des personnes qui l’ont connu, il est toujours possible de partager ses émotions et d’entrer dans sa pensée. Désormais, grâce à cet ouvrage, de nouveaux regards se porteront sur l’étendue d’une production riche et complète, abordant dans tous les genres des thèmes sensibles et existentiels.

Aujourd’hui, une association se donne le devoir d’entretenir la mémoire et le souvenir de Pierre Nothomb. La Fondation Pierre Nothomb, créée le 11 mars 1967 sur demande testamentaire de l’écrivain, soutient toujours la Bénédiction de la Forêt, organise annuellement le prix littéraire Pierre Nothomb et gère le Centre de Lecture Théâtrale, qui met en scène des pièces inédites d’auteurs luxembourgeois. L’association, présidée par Patrick Nothomb, a célébré ses cinquante ans en 2017. Pour l’occasion, une magnifique exposition a été organisée à Habay-la-Neuve en collaboration avec Sébastien Widart, historien du Centre de Recherche du Pays de Habay.
La réédition de cet ouvrage s’inscrit, elle aussi, dans la lignée de l’énergie déployée en cette année de commémoration.

Louis Mores
Secrétaire de la Fondation Pierre Nothomb

 

La Dame du Pont d'Oye

« La Dame du Pont d’Oye » de Pierre Nothomb est disponible en librairies et sur notre e-shop au prix de 13 €.

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