Stanislas Barberian : le retour à Charleroi
Voici donc le septième opus des enquêtes de Stanislas Barberian. Rendez-vous incontournable de la rentrée littéraire, depuis Morts sur la Sambre (2019), les enquêtes policières menées par le bouquiniste, détective « malgré lui », sont attendues par un large public de lecteurs et lectrices fidèles.
Francis Groff, écrivain et journaliste a l’art de les séduire par l’élégance – toute britannique – avec laquelle il dénoue les énigmes criminelles les plus spectaculaires. Il est vrai qu’il les invente et construit avec une évidente jubilation.
Dès le premier volume de ce qui est devenu une série-culte, nous rendions compte de la naissance d’un personnage appelé à devenir un de ces personnages récurrents dont le « genre policier » est friand. Holmes et son comparse narrateur Watson, Maigret, Monsieur Wens, Adam Dalgliesh et bien d’autres appartiennent à nos souvenirs de lecteurs addictifs des crimes dont d’habiles machineries littéraires dévoilent les turpitudes. De tels personnages, au fil des récits, prennent corps comme un bon vin, se complexifient en devenant plus humains, moins schématiques. Nous avons observé cette évolution avec les deux protagonistes centraux des livres de Groff : le bouquiniste « carolo-parisien » (Barberian) qui a ouvert la librairie La malle aux livres à Montparnasse et sa « fiancée » Martine, elle aussi bouquiniste, installée au Sablon à Bruxelles.
Dans Sortie de scène à Charleroi, le lieu du crime est spectaculaire : la scène du Palais des Beaux-Arts de Charleroi (ville d’origine de l’auteur) pendant un spectacle d’avant-garde dont Groff se délecte à inventer la fantaisie brechtienne de la mise en place : « Le rideau à l’italienne s’ouvrit lentement et tandis que les pleurs s’estompaient légèrement, un immense écran descendit à hauteur d’homme, montrant une succession rapide de berceaux, de cages à porcs, de couveuses néonatales, de bébés au visages crispés, de groins de cochon fouillant des excréments… » Le crime ? Un assassinat perpétré avec une violence inouïe sur la personne d’un comédien incarnant, caricaturant plutôt Le grand capital… « écrasé par le rideau métallique de trois tonnes servant de coupe-feu ».
On ne peut ici, au risque de « divulgâcher » le livre, raconter l’intrigue, les fausses pistes, les indices et, finalement, la découverte du coupable. À nouveau, sa profession de bouquiniste expert donne l’occasion à Stan de sillonner des lieux propices à enrichir ses collections et à y rencontrer des personnages hauts en couleur, mais aussi – comme c’est le cas dans Sortie de scène à Charleroi, d’utiliser ses compétences pour identifier des indices inattendus et venir ainsi compléter l’information des policiers en charge de l’enquête, comme la charmante Karine Mortehan, commissaire. C’est ainsi que Barbérian identifie sans mal les feuilles de chansons dont la victime faisait collection : « ces papiers mal imprimés étaient vendus dans les rues, sur les marchés et dans les cabarets par des artistes ambulants qui se produisaient seuls ou accompagnés d’un musicien » nous raconte Groff, accompagnant son explication de détails et d’anecdotes dont il confie la narration à son personnage. Pour cette enquête qui le ramène à Charleroi, Barbérian/Groff décrit avec détail sa ville d’origine, donnant raison ici aux rédacteurs du Guide du routard : ceux-ci ont fait figurer dans le volume consacré à la Belgique, les livres de Groff parmi les instruments littéraires de découverte de la Belgique… mais aussi de son histoire. Groff ne manque pas d’évoquer le passage par Charleroi des de Gaulle, Charles et Pierre, mais aussi Georges Lemaître et encore Pierre Carette, fondateur des lugubres Cellules Communistes Combattantes !
Ce dernier livre permet au romancier, comme il l’a fait pour les ouvrages précédents, de situer l’environnement historique, culturel, voire linguistique des événements qu’il narre. Et cela n’enlève rien, heureusement, au suspense, ingrédient indispensable de la littérature policière à énigme, aux rebondissements et révélations successives qui conduisent Barbérian à identifier le coupable. Autres éléments récurrents de la narration, que le lecteur a grand plaisir à retrouver comme de ces habitudes que l’on aime partager avec « nos » personnages : la compagne aimante, la Facel Vega, le goût des bières trappistes…
S’il s’inscrit par bien des aspects dans la lignée des grands Anglais, Groff y ajoute cette espièglerie belge qui fait de chacun de ses romans un bonheur de lecture.
Jean Jauniaux pour Le carnet et les Instants, le 7 octobre 2024
« Sortie de scène à Charleroi » de Francis Groff est disponible en librairie et sur notre e-shop :