Stan au Congo

En 2019, nous découvrions avec plaisir Morts sur la Sambre et Vade retro, Félicien !, où Francis Groff participait au premier élan d’une collection initiée par l’éditeur Olivier Weyrich et l’auteur Christian Libens. Ce dernier se fendait, en parallèle d’Une petite histoire du roman policier belge de langue française. « Noir corbeau », « une belge collection de polars, d’enquêtes noires, d’histoires criminelles, de thrillers, bref, de romans policiers d’aujourd’hui », répondait à un plan de vol solide et particulièrement bienvenu en ces temps où l’identité de notre communauté (FWB) pose question.

Quatre années plus tard, Francis Groff s’est érigé en tête de gondole de la collection, creusant un sillon avec ténacité et talent. La piste congolaise est déjà le 6e tome des aventures de l’enquêteur amateur Stanislas Barberian, un « bibliophile distingué » originaire de Wallonie mais installé à Paris.

Le prologue est un micro-thriller :

Est-ce la douleur qui le sortit de son état comateux ? Ou plutôt cette nausée qui lui monta brutalement dans la gorge comme un trop-plein acide ? Lorsqu’il comprit qu’il était réveillé, Stanislas Barberian regretta aussi vite d’être conscient…

Où a atterri notre héros ? Comment est-il arrivé là ? Quel est le cadavre à ses côtés ? Les indices s’insinuent. Une machette, un site industriel, une grue :

Il se trouvait dans une partie probablement désaffectée du chantier naval Chanic qui longe le fleuve Congo dans la baie de Ngaliema, à l’ouest de Kinshasa.

Stanislas est en fâcheuse posture. Au Congo ! Engagé dans une lutte sans merci, une course contre la montre, contre la mort. Fin du prologue, dont on devine qu’il s’agit d’un fragment de l’épisode final, et ouverture d’un roman en flash-back. Tout avait commencé « quelques semaines plus tôt », quand un collectionneur de Libramont avait connecté notre expert ès livres à un cousin avide de rentabiliser une étrange partie d’héritage : un coffret contenant un carnet et un flacon, le tout venu du Congo et d’un ancêtre ayant vécu des dizaines d’années en Afrique. Stanislas a à peine pris le dossier en charge, vaguement intéressé par le carnet (et ses notes relatives à des plantes), tout dérape. Le cousin est retrouvé mort, les pieds brûlés. Il a donc été torturé pour avouer. Avouer quoi ? Les voisins ont aperçu cinq Africains mais la police pense à un règlement de comptes lié à des dettes de jeu. Pourtant, très vite, les mêmes Africains se mettent à rôder du côté de la petite amie de Stan, à Bruxelles. Et…

Tandis que la police patauge en Belgique, notre enquêteur amateur va larguer les amarres pour résoudre une affaire aussi insolite qu’inquiétante. Direction le Congo, le Bas-Congo plus précisément, tel qu’on nommait la région de Boma, Matadi, etc. du temps des colonies. Direction un jardin botanique exceptionnel et les traces de son fondateur (et bienfaiteur de l’humanité ?) Justin Gillet, un Jésuite peu catholique, ou d’autres traces encore, celles de Simon Kimbangu, le prophète d’une nouvelle religion, martyrisé hier mais plébiscité aujourd’hui.

En cours de route et de péripéties, nous traversons le Congo contemporain, ses charmes et son chaos, ses clichés et ses surprises, nous croisons une galerie de personnages bien campés et revisitons des pages d’histoire. Cette aventure de notre Tintin moderne (toujours prêt à tout laisser tomber pour courir après le crime, le mystère, guetté par des dossiers qui flairent bon la magie, l’épisode historique, le moment significatif dans un décor marquant) esquisse un point d’acmé de la série dans la série (Barberian dans « Noir corbeau »). C’est que Francis Groff, avec sa Piste congolaise, participe avec éthique au très salutaire retour sur le passé et à une exploration sans fard du présent. Il n’est jamais question de digression pesante mais nous intégrons, au détour des pages et des rebondissements, des rappels et des informations : les conséquences positives et négatives de la construction du chemin de fer, le kimbanguisme, une épopée religieuse qui sera en aval et en amont de l’intrigue, etc.

En clair ? La piste congolaise s’avère au premier niveau un récit agréable et confortable, parcouru par les tensions du policier et du thriller, mais Francis Groff, comme dans le cas des bons vins, offre une deuxième salve de saveurs, une extension de conscience du lecteur.

Philippe Remy-Wilkin pour Le Carnet et les Instants, 5/7/23

« La piste congolaise » de Francis Groff est disponible en librairie et sur notre e-shop :

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