Rendez-vous au pays des souvenirs
Des textes brefs font la part belle aux évocations d’autrefois. Les images se bousculent dans une succession d’instantanés couleur sépia.
L’expression « et des poussières » est bien connue. Elle indique un supplément, somme toute, insignifiant. Mais dans ce titre, Quelques années et leurs poussières, le recours à l’article possessif rend l’incidence du passage du temps presque perceptible.
D’emblée de jeu, Christian Libens prévient son lecteur : certaines scènes ou évocations pourraient être offusquantes. Et des poitrines, en est-il question dans ces pages… Serait-ce à dire que les plus vieux ou moins jeunes vivaient dans un autre terroir ?
Un ancrage revendiqué
Christian Libens n’a jamais caché ses origines wallonnes. Loin de les renier, il les chérit plutôt. C’est ainsi que se retrouvent disséminées des expressions savoureuses comme « tchafète » pour bavarde, « nènène » pour grand-mère… « Bien sûr, comme tout le monde, Julien a une langue maternelle, le français de Belgique, ou plus exactement le français parlé au pays de Liège. Secrètement, il a aussi une langue grand-maternelle, le wallon d’entre Liège et Verviers. » La filiation entre l’auteur et son personnage semble probante ! Il ne s’agit toutefois pas d’autofiction, mais plutôt d’un habile mélange allusif, comme se plaît à le souligner le postfacier, Michel Lambert. Et Christian Libens de rappeler combien la Belgique fut le « pays des chasseurs de belgicismes, un péché presque mortel ». Un exemple ? Les « crolles » citées pour des cheveux bouclés.
Dans ce livre, de nombreux motifs « libensiens » sont égrenés. Ainsi, en est-il du romancier liégeois Georges Simenon, dont Libens a longuement pratiqué l’œuvre, mais aussi du héros Guillaume Apollinaire, auquel il a consacré un roman sous le titre de La forêt d’Apollinaire. Ne l’oublions pas, Wilhelm a connu la principauté abbatiale de Stavelot, une région qu’affectionne à sa suite le Verviétois. Autres références marquantes : Alexis Curvers, dont Christian Libens a été le secrétaire dans la « vraie » vie, et l’Ardennais Alain Bertrand, avec lequel il a lancé la collection « Plumes du coq », où est précisément publié ce nouveau volume.
Le reflet d’une époque
En témoigne aussi Christian Libens dans Quelques années et leurs poussières, le catéchisme, la communion solennelle, la confession (appelée « confesse » par certains) étaient de grandes étapes qui actaient le passage de l’enfance à l’adolescence. En ce temps-là, « une montre de communion, c’est pour toute la vie… » et la tenue du dimanche se devait d’être encore plus officielle pour l’occasion. « Il le devine à ses regards, à son doux sourire : Maman voudrait qu’il choisisse une culotte courte. Lui, bien sûr, préfère un pantalon long, un vrai pantalon d’homme. Comment choisir ? » Dilemme vestimentaire d’une autre époque, lorsque la religion catholique rythmait l’existence des habitants à la campagne et ailleurs. N’en déplaise aux cartomanciennes qui tiraient discrètement les cartes selon le jeu de tarot créé par Mademoiselle Lenormand.
Saluons, enfin, la postface de Michel Lambert, qui fourmille de renseignements : « l’auteur raconte ce qu’il a vécu, ou rêvé, ou fait émerger d’un passé lointain ». Car « Ce n’est pas à proprement parler un roman par nouvelles, genre parfois pratiqué. Ce serait plutôt un roman par éclats. » Voilà une définition qui illustre joliment l’exercice pratiqué par l’auteur de Quelques années et leurs poussières.
Angélique Tasiaux pour Le Carnet et les Instants
« Quelques années et leurs poussières » de Christian Libens est disponible en librairie et sur notre e-shop :