Rebouteux, barreurs de feu et passeurs d’âmes : croire en l’incompréhensible

Ils sont bien plus qu’on ne le croit à pratiquer discrètement cette « mission », ce « don » particulier, presque tabou. Les « soulageurs » témoignent de leur activité bénévole, complémentaire à la médecine classique.

Ils et elles sont « rebouteux », et certains sont « barreurs de feu ». Ils et elles possèdent ce don mystérieux, un peu secret, un peu tabou, de soulager certaines douleurs des gens, voire d’animaux, en direct ou plus souvent à distance. Soulager mais pas guérir. Pas mal de personnes ont recours à leurs multiples services, offerts gratuitement pour la majorité d’entre eux, et d’autres n’y croient pas du tout. Certaines personnes, très cartésiennes et pragmatiques, n’y voient que du charlatanisme, mais deviennent plus dubitatives quand une intervention s’avère concluante pour eux ou un des leurs…

Cela fait six ans que le journaliste Philippe Carrozza s’est lancé dans une vaste enquête auprès de ces soulageurs qui se sont confiés, pour la plupart sans le moindre secret, pour expliquer comment ils procèdent, jour après jour, car les demandes sont nombreuses. Trois volumes de témoignages sans jugement aucun ont été publiés chez l’éditeur Weyrich, et le premier volume, relifté et étoffé, sera bientôt réédité. Dans le dernier tome, Philippe Carrozza a poussé un peu plus loin son travail en rencontrant des « passeurs d’âme » et des médiums, un univers beaucoup plus étrange, plus surprenant voire inquiétant. Des religieux, des médecins et soignants ont aussi donné leur avis sur cette thématique.

À ce jour, Philippe Carrozza a contacté près de 80 rebouteux en Wallonie, de tous âges – la plus jeune a 14 ans. « Pour mon premier tome, ce fut très compliqué pour nouer des contacts. Le socle commun des rebouteux, c’est leur humilité », commente-t-il. « Ils veulent rester discrets. Certains craignaient qu’on se moque d’eux. Après la parution du premier tome, les contacts qui se sont créés par le bouche-à-oreille ont été plus faciles. Mais comme les livres sont aussi des annuaires puisque je donne leur numéro de contact, du moins pour une grande partie d’entre eux, certains ont été submergés d’appels. Mais cela s’est globalement bien passé, mis à part quelques irrespectueux qui téléphonent à toute heure, qui s’énervent ou exigent un résultat alors que les rebouteux effectuent ce service gratuitement. Personnellement, je n’ai pas eu d’appels de gens mécontents comme cela arrive plus régulièrement dans le cadre de mon métier de journaliste… »

Le sujet ne laisse en tout cas pas indifférent et même le monde médical a changé son opinion envers ces soulageurs que certains médecins conseillent désormais à leurs patients. « J’ai encore du mal à dire que je suis barreuse de feu ou que j’arrête les hémorragies. On sent de la perplexité chez la plupart des gens et je les comprends puisque je suis moi-même très sceptique », explique Laurence. « Un rebouteux, c’est une personne qui soulage. Elle ne guérit pas mais son action permet d’éteindre la douleur et de réduire les cicatrices. Nous sommes un très bon complément à un traitement médical, mais jamais, au grand jamais, aucun rebouteux ne pourra se substituer à un médecin », conclut-elle.

Marie-Pascale, elle, relève que « certains médecins en rigolent, mais que d’autres m’envoient des personnes qui sont traitées pour des cancers, pour calmer les douleurs et brûlures. On m’appelle d’hôpitaux, de Bruxelles, de Libramont, de Liège, et cela fonctionne bien. Ce sont ces hôpitaux qui donnent mon numéro. Je suppose donc qu’ils se rendent compte du bénéfice pour leurs patients. »

Un don transmis en confiance

Mais comment devient-on rebouteux ou rebouteuse ? Ces « dons » sont transmis de proche à proche, de mère ou grand-mère à un descendant. Sandra a reçu ce don de sa grand-mère. « Sans doute a-t-elle senti que j’étais la bonne personne », dit-elle. « D’une part, j’étais très intéressée par ce qu’elle faisait et d’autre part, j’y croyais à fond. Quand petites, nous nous brûlions, on courait chez elle pour qu’elle arrête la douleur. C’était quelque chose de familier, de normal. Je pense que ma grand-mère ne pouvait donner son secret qu’à une personne de confiance. Ma tante l’a également reçu. Au contraire de mon père parce que cela ne l’intéressait pas et qu’il n’avait pas le temps… »

La gratuité est également primordiale. « C’est un don que j’ai reçu, un cadeau », clame Sandra. « C’est interdit de demander un centime. Je pense que si je tarifais ce service, car cela en est bien un, je risquerais de perdre mon secret. Les rebouteux qui exigent d’être payés en retour d’un service ne sont que des charlatans. »

Mais quelle méthode appliquent-ils pour soulager douleurs et brûlures, avec un effet souvent très rapide ? Ce sont des prières adressées généralement à des saints. « J’ai reçu la prière qui apaise les brûlures de ma maman », explique Christiane. « Mais je reste persuadée que sans cela, j’avais des aptitudes. Je sentais quelque chose en moi sans rapport avec cette prière. J’ai découvert cela de manière empirique. Et s’il est souvent question de prières quand on évoque les guérisseurs, il me semble pourtant que la religion n’a que peu de rapport avec les dons des rebouteux. Ma mère n’était pas catholique et moi, je suis croyante mais non pratiquante. »

Cela dit, Christiane a aussi reçu un jour un livret contenant des prières pour toutes sortes de maux. « Je l’ai accepté et j’ai commencé à soulager des personnes souffrant de zonas, herpès, maux de dos, douleurs opératoires, dépressions, etc. »

Fabienne, quant à elle, estime qu’il y a trois catégories de rebouteux : « Ceux, comme moi, qui reçoivent un don à la naissance et qui doivent l’apprivoiser, apprendre à s’en servir de manière empirique, mais qui ne savent pas à quel point leur don est capable de soulager les gens. C’est à l’usage et tout un cheminement fait d’essais et erreurs que nous apprenons à connaître nos limites. La façon d’y parvenir est propre à chacun. Il y a ensuite les rebouteux qui se limitent à la prière qu’ils ont reçue et qui ont un champ d’action limité. Enfin, il y a les charlatans qui font de la publicité et se font payer… »

Ces étranges passeurs d’âmes

La seconde partie de l’ouvrage de Philippe Carrozza est consacrée aux passeurs d’âmes, un sujet plus désarçonnant, plus mystérieux, qui touche à l’invisible et à la mort. Un sujet qui, bien plus que pour les rebouteux, laisse beaucoup de personnes incrédules.

« Lors des recherches pour mon premier tome, des rebouteux m’ont parlé de passeurs d’âmes. C’est un sujet que je n’avais pas prévu d’aborder », explique le journaliste. « Mais il devenait un peu récurrent. On me citait des cas précis. Je me suis dit qu’il y avait peut-être matière à enquêter. J’ai creusé le sujet. J’ai même vu une vidéo d’une maison en région liégeoise, avec des portes qui s’ouvraient et des lumières qui s’allumaient seules. Ses habitants se plaignaient de vivre très mal ces phénomènes paranormaux. Ils étaient prêts à vendre leur maison. On leur a donné le contact d’un passeur d’âmes qui est venu dix minutes. Tous les phénomènes se sont arrêtés. Ces passeurs disent envoyer les âmes errantes vers la lumière. Il s’agissait dans le cas présent de gens qui auraient été tués et enfermés dans un puits situé sur le terrain de cette maison. Les habitants ne savent pas expliquer ce qui s’est passé. »

« J’ai aussi rencontré une fille dont la mère avait été tuée lors du génocide au Rwanda », dit-il, « et qui avait reçu un message d’une voix, message qu’elle a transcrit en swahili par écriture automatique, alors qu’elle ne connaît pas cette langue. C’était un message de sa mère. C’est très interpellant et cela me laisse pantois. Je ne sais quoi en penser. On atteint la limite de la compréhension… »

L’auteur a aussi demandé l’avis des autorités religieuses catholique, juive et bouddhiste, d’un psychiatre et d’un médecin qui commentent ces faits, ces témoignages portant notamment sur des lieux invivables qui changent du tout au tout quand un passeur a effectué son travail… « À chaque lecteur de se faire son idée ! », conclut l’auteur.J.-L.B.

Article signé Jean-Luc Bodeux pour Le Soir, 25/3/23


« Passeurs d’âmes et rebouteux » de Philippe Carrozza
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