« Qui aimera le diable ? Qui chantera sa chanson ? »

Luc Devreese signe un premier roman très réussi

La vie de Julius est plutôt morose depuis qu’il a perdu son travail… ou peut-être l’a-t-elle toujours été ? Cet éternel célibataire est très solitaire. Il voit parfois sa vieille sœur Marcella qui vit dans une petite maison de l’ancien béguinage de Mont-Saint-Amand. À l’époque, il allait aussi parfois rendre visite à Lieve, une prostituée du quartier de la gare. Poussé par un élan inhabituel – comme s’il était temps qu’il aille à contre-sens de sa vie – il entre chez un antiquaire et en ressort avec une statuette représentant le dieu Pan, le sexe dressé. Il ne sait expliquer pourquoi il est attiré par cet objet. Il veut montrer la statuette à Marcella. La vieille femme qui perd la vue sourit joyeusement en touchant le membre de la statuette. Julius sent que quelque chose a changé dans sa vie depuis qu’il a acquis cette statuette, comme si sa mélancolie voulait disparaître. Il veut revoir Lieve, mais il apprend qu’elle ne travaille plus dans le café où il allait la retrouver.

Il rentre alors dans son petit appartement, à l’écart de la ville. Son propre pénis lui semble bien ridicule à côté de celui de la statue. La nuit, il fait de drôles de rêves et il embrasse le petit diable sur la bouche. Le regard de Pan semble toujours le narguer, entre ironie et moquerie. Perturbé par ses actes nocturnes, il retourne chez le brocanteur. Le vieux vendeur lui raconte sa propre histoire et lui tient des propos étranges au sujet de cette statuette. Fatigué, Julius décide de s’en débarrasser en la donnant à sa sœur, mais en arrivant chez elle, il ne la trouve pas. Un petit mot lui annonce qu’elle est partie à Mbanza, le village africain qui l’a vue naître. Julius se sent complètement abandonné par cette sœur qui a toujours été comme une mère pour lui. Comment a-t-elle pu partir en voyage à un âge si avancé ? Pourquoi Julius reste-t-il cloîtré dans sa vie si étriquée et sans goût ? Pourquoi l’acquisition de cette statuette prend-elle tout à coup tellement d’importance ? Redonne-t-elle un sens à sa vie ? Qui est-elle vraiment ? C’est le début d’une quête qui conduira Julius de la ville à la forêt, de Wallonie à Dresde, puis au Moyen-Orient. Une quête qui le mènera sur les chemins de la mémoire et de son passé, de l’amour et de son présent.

La mémoire du sable est admirablement bien écrit. Luc Devreese, acteur, auteur dramatique et enseignant, n’est pas avare en images fortes, comme ce grand oiseau qui revient à plusieurs reprises. L’auteur distille quelques éléments durant tout le roman qui ne prennent sens qu’à la fin. Le récit s’ouvre d’ailleurs sur un étrange prologue qui donne le ton. Lors de son périple, Julius rencontre dans la forêt un vieil homme, dénommé Virgile, décrit comme un « grand légume de bibliothèque ». La description de son habitat sens dessus dessous, où cohabitent livres et légumes, est tout simplement exquise :

Dans la cuisine-chambre de M. Virgile, c’était un peu le bordel. Les ustensiles, les verres, les écuelles et les légumes étaient mêlés aux livres disséminés un peu partout comme des sentinelles. Certains posés sur une assiette, d’autres en équilibre sur une cruche, d’autres traînant leurs dernières pages dans l’eau sale de l’évier, d’autres encore adossés à un céleri ou à un poireau. Ils étaient tous plus ou moins tachés de terre ou de graisse. L’ensemble faisait un drôle de tableau ; un petit cosmos en soi, un monde minéral, végétal et livresque.

Ces passages poétiques sont de vrais petits trésors au cœur d’un roman qui flirte avec le fantastique et dont certains épisodes plongent dans une noirceur très crue. Luc Devreese signe un premier roman très réussi, aux éditions Weyrich, collection « Plumes du coq ».

Émilie Gäbele pour Le Carnet et les Instants

« La Mémoire du sable » de Luc Devreese est disponible en librairie et sur notre e-shop :

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