Philippe Soreil évoque son grand-père Arsène et cette Ardenne plus tendre que dure

A propos de Dure Ardenne, Claude Raucy disait :« Il y a pour le lecteur un plaisir de gourmand, c’est indéniable. Mais il y a aussi la découverte de cette vie simple en Ardenne du début du siècle vingtième que Soreil nous raconte avec un bonheur évident. Des noms sont changés, certaines circonstances aussi peut-être, mais cela sonne trop vrai pour avoir été vraiment tout à fait inventé. Un témoignage donc, écrit de la main d’un homme qui savait ce qu’écrire veut dire et qui y prenait plaisir. Un plaisir que partage vite le lecteur. »

Philippe Soreil, petit-fils d’Arsène, ardent défenseur de la mémoire de son grand-père, confirme le propos de Claude Raucy. « Oui, dit-il, il y a une « langue » Arsène Soreil.

Que peut-on retenir de l’Ardenne qu’il donne à découvrir, une Ardenne aujourd’hui disparue ?

L’Ardenne de mon grand-père est plus tendre que « dure ». Son Ardenne n’a pas totalement disparu aujourd’hui, même si certains projets – comme « Les Plus Beaux Villages de Wallonie » – ont amené ses habitants à soigner tellement la richesse de ses beautés que l’on a parfois l’impression de déambuler dans un décor de film rural. Mais les vrais Ardennais de souche que j’ai côtoyés – notamment grâce à mes émissions de télévision – sont restés authentiques, avec ces parfums d’accents régionaux savoureux dont je me suis enivré à leur contact. Derrière la rudesse se révèle la richesse des paysages vallonnés et la tendresse des paysans ardennais.

Dans quelles conditions et quel contexte a été écrit Dure Ardenne ?

Je n’ai jamais très bien su quand et dans quelles circonstances Arsène Soreil avait écrit Dure Ardenne. J’ai souvent entendu dire qu’une partie de ces nouvelles avaient germé dans les tranchées de la première guerre, où il remplissait des carnets de notes et de dessins, aux bords de l’Yser. La première édition date de 1933, mon père devait avoir une dizaine d’années tout au plus.

Pourquoi faut-il (re)découvrir et lire Arsène Soreil ?

Ce que je retiens de mon grand-père, j’en ai écrit quelques souvenirs dans la postface du livre réédité par Olivier Weyrich, c’est une notion de « droiture ». Il portait sur lui une dignité, une classe et une clairvoyance en toutes circonstances. Il avait une sobriété et une humilité qui masquaient l’étendue de son savoir. Il était bienveillant et attendri par le premier petit-fils que j’étais. Il m’emmenait en promenades à travers la campagne, me racontait des histoires, tentait de m’apprendre à dessiner au fusain et, plus tard, m’entrainait entre « versions et thèmes » pour préparer mes examens en latin, une langue qu’il… parlait !

Découvrir Arsène Soreil, c’est plonger dans les mots et les images d’un esthète de la vie, d’un passé simple et romantique. Redécouvrir Arsène Soreil à travers ses pages, c’est retrouver le sens des mots et des phrases, justes, balancées avec élégance. Sa poésie se ressent aussi à travers sa prose.

Qu’est-ce qui fait la qualité de la plume d’Arsène Soreil ? Y-a-t-il une « langue » Arsène Soreil?

Il y a, en effet, une « langue » Arsène Soreil. Certains mots, certaines tournures sentent bon les hommes et la nature « de l’époque ». Quelques archaïsmes de vocabulaire nous replongent parfois dans un passé où la sémantique était aussi un jeu de l’esprit et de l’écriture. Lire « Dure Ardenne », c’est, au-delà d’un bain dans le début du 20e, retrouver la fluidité des histoires, la simplicité des arrêts sur images.

L’Ardenne mythique est souvent noire, austère, dure. Malgré son titre, Arsène Soreil nous présente une Ardenne toute en nuances où les bonheurs simples ont leur place. Comme si la lumière et la sérénité qui l’habitaient filtraient tout ce qu’il pouvait observer et arrasaient les difficultés sombres. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Dure Ardenne ne signifie pas « Noire Ardenne ». L’austérité a été vécue par mon grand-père comme une richesse en émotions, en sentiments et en tranches de vie où tout avait un sens. Quand, pour sa « Saint-Nicolas », Arsène enfant recevait une pomme et une orange, puis, plus tard, l’ayant enfin méritée, une boite de crayons de couleurs … on devine sa joie presque céleste par la magie de la fête que lui offraient ses parents. Les étapes de sa vie, depuis le garçon-vacher jusqu’au diplômé docteur spécial de la Sorbonne, il les a vécues comme une suite logique d’objectifs de vie et non comme une fuite de l’inconfort début de siècle. Jusqu’à la fin de ses jours il resta émerveillé. Pas seulement par l’Art, mais par les bonheurs sobres de l’existence.

Propos recueillis par Baudouin Delaite.

Photo extraite de l’émission « Sur le Pouce » de RTL-Télévision en 1985, à la Villa Louvigny à Luxembourg. Philippe Soreil à gauche et son grand-père Arsène.

« Dure Ardenne » de Arsène Soreil est disponible en librairie et sur notre e-shop :

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