Nelly Kristink et Le Renard à l’anneau d’or
« Nelly Kristink est à l’Ardenne ce que Marie Gevers est à la Flandre. » Pour rapide qu’elle soit, la formule ne manque pas de pertinence. En effet, ces romancières ont toutes deux excellé à inscrire leur œuvre littéraire dans la réalité de leur terroir respectif, sans jamais céder à la facilité du pittoresque.
C’est le rapprochement qu’ont sans doute établi les responsables du département Fiction de la Radiodiffusion Télévision Belge quand ils ont voulu donner un pendant wallon à l’univers flamand de Paix sur les champs, un roman de Marie Gevers porté au petit écran en 1970 par Teff Erhat. La création d’une nouvelle série télévisée inspirée du monde ardennais à partir du roman Le Renard à l’anneau d’or est alors confiée au même réalisateur.
La série est diffusée dès le printemps 1974 par la RTB et remporte un réel succès. Le tournage s’est déroulé dans la région de Neufchâteau et les rôles principaux ont été confiés à Jean-François Poron, Agnès Gattegno et Patricia Lesieur, qui incarne avec talent une Mariève fidèle au beau personnage créé par Nelly Kristink. La chanson du générique est interprétée par Françoise Hardy, sur une musique de Georges Moustaki. Dès l’année suivante, les six épisodes (de 50 minutes) de cette coproduction belgo-helvético-canadienne sont diffusés dans plusieurs pays (dont la France, l’Allemagne, la Bulgarie, les Antilles françaises et, bien sûr, la Suisse et le Canada).
Enfin, profitant du succès populaire du feuilleton, La Renaissance du Livre réédite le roman peu après sa diffusion belge. Car le premier succès remporté par Le Renard à l’anneau d’or est bien évidemment celui de l’attribution du prix Rossel 1948 au roman, alors encore à l’état de manuscrit. Publié en 1949 par La Renaissance du Livre, il rencontre un accueil favorable, tant auprès de la presse que d’un large public, favorisé par un bouche à oreille enthousiaste.
Le Renard à l’anneau d’or « développe les charmes du roman régionaliste et populaire avec un talent particulier qui lui évite tous les défauts du genre ». Présentant ainsi le roman quarante années après sa parution dans une notice de dictionnaire (Lettres françaises de Belgique, t.1, Duculot), l’essayiste Raoul Vaneigem y évoque encore le « style simple, soigné, sensuel » et « plein de fraîcheur » de son auteure. On ne peut pourtant suspecter de complaisance à l’égard du genre le pamphlétaire situationniste !
Qu’on ne s’y trompe pas : jamais les senteurs douceâtres de l’eau de rose ne s’échappent des pages de Nelly Kristink, et si son univers romanesque est celui de la vie quotidienne de personnages issus de son terroir ardennais, elle touche à l’universel par sa profondeur d’analyse des cœurs comme des reins. En témoigne cette « défense et illustration de Mariève » que sont les propos tenus en 1960 par la romancière lors de la cérémonie de remise du prix Georges Garnir à l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises : « Pourquoi choisit-on si souvent comme héroïne une femme extraordinaire ou déséquilibrée ou plus méchante que nature ? Est-ce qu’une femme normale, qui accepte la vie de chaque jour, élève ses enfants, s’en réjouit ou tremble pour eux, n’offre donc aucun intérêt ? Et cette vie quotidienne ne peut-elle, même en des circonstances très humbles, être dispensatrice de beauté ? Les écrivains ne doivent pas détruire à la légère, sans se soucier de leurs responsabilités. Et c’est détruire que de perdre la foi dans les êtres et dans la vie… »
Nul doute qu’avec pareille philosophie du métier d’écrivain, Nelly Kristink s’inscrivait résolument à contre-courant des modes de son temps, en ces années où une Françoise Sagan séduisait jusqu’aux existentialistes…
Christian Libens
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