L’itinéraire confit de Tercorère le maudit

Avec « Vie et mort de saint Tercorère le maudit », André-Joseph Dubois signe une très réussie hagiographe à rebours.

André-Joseph Dubois serait-il Jacques de Voragine ressuscité d’entre les morts ? Le chroniqueur italien du XIIIe siècle, archevêque de Gênes, avait écrit la Légende dorée, recueil narrant la vie exemplaire d’un grand nombre de saints et de saintes, de martyrs et de martyres, un ouvrage destiné à encourager la foi et la vertu par l’exemple. Avec Vie et mort de saint Tercorère le Maudit, l’écrivain belge s’inscrit-il dans cette lignée de livres édifiants ? Le titre pourrait le laisser penser. Mais, en fait, pas vraiment : l’ironie et la satire l’emportent sur l’hagiographie. Et ce roman est un régal de second degré et de malice.

Cela se passe au IVe siècle, en Afrique du Nord. Le temps de saint Augustin, l’homme des Confessions. Le temps des papes Damase, Sirice et Anastase. Le temps aussi des invasions barbares en Europe. Le temps où « l’incompréhensible dieu en trois personnes » gagnait du terrain dans les églises hâtivement bâties.

Tercorère naît dans une bonne famille de cultivateurs et commerçants. Son père le fiance à une cousine, question d’adjoindre à ses arpents de vignes ceux de l’autre famille. Tercorère obéit et s’en trouve bien. La fiancée le fascine, il goûte sa beauté et ses lèvres. la joie le submerge. La joie ? Mais c’est une ruse de Satan, ça ! Et voilà notre Tercorère fuyant la maison familiale, le mariage et la tentation, concluant un pacte avec Dieu, gagnant le désert et se faisant ermite.

Les années passent. On vient se faire bénir par cet homme, en haillons et puant, proférant des injures mais respirant la sainteté. D’ailleurs ne parle-t-il pas avec le lion et l’hyène ? Et quand le vieil évêque meurt, c’est lui que veulent les foules pour lui succéder. Tercorère est intransigeant, sévère avec les autres comme avec lui-même, guettant le mal partout, jusque dans les gestes d’amitié et d’amour, pressé d’éradiquer les hérésies, de détruire les suppôts de Satan, même s’il faut les tuer par centaines. La haine du mal le mène, plus fort que l’amour des hommes. Jusqu’à la folie.


Détournement
André-Joseph Dubois livre là un roman bien singulier. Dont le personnage principal devrait être un modèle de pureté, suivant ainsi les édifiantes vies de saints d’antan. Mais Tercorère n’est jamais qu’un personnage extravagant, intransigeant, fanatique, impitoyable et incompréhensible comme son triple Dieu. Et c’est là que l’auteur retourne toute la situation en faisant de Tercorère l’exemple même à ne pas suivre.

Dubois procède à un détournement, et le fait avec brio. Son Tercorère n’est en fin de compte qu’une blague, qu’une farce, qu’une fantaisie. Mais une farce qui fait mouche et qui condamne tous les fanatismes, d’hier et, surtout, d’aujourd’hui. Et André-Joseph Dubois la déploie dans un style élégant qui ne laisse jamais percer l’irrévérence : celle-ci est dans les faits, pas dans l’écriture.

Après Ma mère, par exemple, Quand j’étais mort ou Le Septième Cercle, avec ce Vie et mort de saint Tercorère le Maudit, André Joseph Dubois se place comme un écrivain qui compte dans le milieu littéraire belge.

Article signé Jean-Claude Vantroyen pour Le Soir, le 15/7/23

« Vie et mort de Saint Tercorère le Maudit » de André-Joseph Dubois est disponible en librairie et sur notre e-shop :

Partager :