Les orphelins de François, le livre de Bernard Gheur qui nous ressemble
Bernard Gheur, journaliste et romancier vivant à Liège a vécu une extraordinaire aventure cinéphilique, littéraire et humaine grâce et avec François Truffaut. Elle lui a inspiré un beau livre qu’il publie aux éditions Weyrich. Il a réservé son premier entretien aux Amis de François Truffaut :
Le titre de votre dernier ouvrage Les orphelins de François résonne pour nombre des Amis de François Truffaut. Pourquoi ce choix ?
Un jour de janvier 2000, un déjeuner amical a réuni dans un restaurant parisien quelques « truffaldiens » : Serge Toubiana, Jérôme Tonnerre, Robert Fischer (l’ami allemand de Truffaut, le traducteur de tous ses livres). A la fin du repas, Robert m’a dit en souriant : « C’était le rendez-vous des orphelins. » Nous éprouvions tous un attachement filial pour le grand cinéaste disparu. Aujourd’hui encore, certains jeunes qui découvrent ses films rejoignent la cohorte des « orphelins de François. »
Le jour de sa disparition, vous êtes journaliste et devez retracer sa vie et son parcours de cinéaste. Un exercice difficile ?
L’article était facile à faire, j’étais plutôt calé sur ce thème. Et, en même temps, c’était pour moi une tâche très cruelle, tant j’avais aimé cet artiste, tant il avait influé sur ma vie. J’ai appris sa mort par une dépêche prioritaire de l’agence Associated Press, tombée un dimanche soir à 20h02. Je n’en croyais mes yeux. Truffaut, c’était la vie, la création, les rêves qui se réalisent. Pas la mort, à 52 ans.
Votre premier contact avec l’œuvre de Truffaut, c’est, adolescent, la découverte de Tirez sur le pianiste. Ce film semble vous fasciner. Pourquoi ?
J’ai découvert ce film le jour de mes seize ans, le samedi 18 février 1961. Le film passait au Normandie, un cinéma de Liège qui ouvrait dès dix heures du matin. Ce fut mon plus gros coup de foudre cinématographique. Je me suis identifié au petit pianiste timide joué par Aznavour, et qui était manifestement un autoportrait de Truffaut. Enfant, je m’identifiais à des héros épiques, comme Gary Cooper, James Stewart. Pour la première fois, je m’identifiais à un homme vulnérable. Ce soir-là, j’ai découpé une photo de Truffaut dans un magazine et je l’ai glissée dans mon portefeuille. Là où l’on met d’habitude sa carte d’identité. En 1959, j’avais loupé Les Quatre Cents Coups. En Belgique, ce film était interdit aux moins de seize ans.
A partir du Pianiste, vous avez fait vous-même du cinéma.
Oh ! juste des petits films 8 mm, très mal foutus. Nous filmions dans les rues, pour imiter Godard et Truffaut. En plus, le cinéma nous fournissait un excellent prétexte pour aborder les jeunes filles, à la sortie de leur école. « Nous faisons du cinéma. Cela vous intéresserait de jouer dans un de nos films ? » Elles ne se faisaient pas prier. Ce casting était dangereux, Les espions des pères jésuites de notre collège rôdaient dans les parages.
Votre livre montre Truffaut sous un rôle inattendu : « éveilleur de roman. »
Oui. A vingt ans, je lui ai envoyé à son adresse privée une courte nouvelle, intitulée Le Testament d’un cancre. Je ne savais pas à quel point mon cinéaste préféré était passionné de littérature. Sa réponse a été pour moi déterminante. Il me conseillait de développer tous ces thèmes, ces personnages et d’entreprendre un vrai roman. « Vous en êtes capable et je pense sincèrement que vous devriez le faire. » Sa confiance m’a donné des ailes. En 1970, le manuscrit du Testament d’un cancre a été retenu par Robert Sabatier, directeur littéraire d’Albin Michel, Truffaut a accepté d’écrire une petite préface. Et il a voulu relire le manuscrit. Un crayon à la main, il y a fait mille retouches.
Quels conseils d’écriture vous a-t-il donnés ?
Aller vite… Supprimer tous les adverbes, tout ce qui ralentit le rythme des phrases. Il biffait les mots ou les membres de phrases qui lui semblaient « chanter moins juste ». La musique était primordiale.
Le grand mystère – et la beauté- de votre relation de vingt années avec Truffaut est qu’elle sera purement épistolaire, sans rendez-vous, sans conversation téléphonique. Est-ce un choix ? N’est-ce pas frustrant ?
Frustrant, pas vraiment. Pendant vingt ans, il a répondu à toutes mes lettres, sur son beau papier pelure, avec en-tête gravé, qui prenait si bien l’encre de sa grande écriture. Ses lettres étaient succinctes et fulgurantes. Il m’écrivait d’égal à égal. A la longue il m’appelait « Cher Bernard » et signait « François » tout court. Je m’en tenais à « cher monsieur ». Une rencontre directe entre deux timides risquait d’être entrecoupée de silences et frustrante, décevante, celle-là.
Les orphelins de François, c’est aussi le récit d’un long entretien tout à fait inédit entre Madeleine Morgenstern et vous.
Oui. Elle m’a reçu dans son appartement qui a servi de décor aux scènes conjugales de La Peau douce. Elle m’a dépeint son père, le grand producteur-distributeur Ignace Morgenstern. Elle m’a raconté ses frayeurs d’enfant juive sous l’Occupation, cachée avec ses parents dans un petit village perdu du Beaujolais. Elle m’a parlé de François Truffaut avec pudeur et finesse.
Qu’est-ce qui lui plaisait le plus chez cet homme-là ?
Son intelligence. Et puis son humour, sa drôlerie. « François m’a tellement fait rire ! » m’a dit Madeleine Morgenstern.
Propos recueillis par Armand Hennon le 2 mars 2021
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