Les affamés, une œuvre de guerre

Le premier ouvrage de la collection Regains, Les affamés de Francis André, est un livre marquant dans la production globale de l’auteur, qui compte tant de la prose que de la poésie. Figure éminente du courant de la littérature prolétarienne en Belgique dans l’entre-deux-guerres, Francis André se livre dans ce puissant ouvrage, évocation de son expérience de détenu au camp de travail de Cassel durant la Première Guerre mondiale.

Un roman du corps

Publié pour la première fois en 1931, ce livre à dimension autobiographique constitue un témoignage dur et éclairant sur ce que fut la déportation dans les camps de travail au cours de la Grande guerre. Ce n’est qu’une quinzaine d’années après son expérience traumatisante que l’écrivain-poète avait choisi de la relater.
Les Affamés est un roman du corps qui interroge le statut humain à l’aune des atrocités que les hommes sont capables de se faire subir entre eux. Lorsque les ressources vitales manquent, dans le cadre inhumain imposé par la déportation, le corps souffre et l’esprit, lui, doit accuser le coup du déracinement forcé et de l’adaptation au nouveau milieu hostile que constitue le camp, où même les camarades peuvent devenir les ennemis d’un jour, lorsqu’un morceau de pain, lorsque qu’une ration de nourriture peut faire l’objet d’une lutte pour la survie. Cette ambiance est transmise par Francis André dans un style concis, relatant l’oppression psychologique exercée par le milieu sur les êtres et les corps qui, rongés de l’intérieur par la maladie, par la faim et agressés par le froid, se modifient et se recroquevillent.

Un roman dur et important

Mais que reste-t-il de vivant en eux ? Souvent, des souvenirs surgissent dans l’esprit du personnage-narrateur, son village, son passé n’existent plus que dans des visions et des rêves, car tout s’est déroulé très vite. Bagages faits à la hâte, mais réquisitionnés sur le chemin de l’exil, des provisions embarquées serviront toutefois à s’alimenter durant les premiers jours de détention et de déportation. Dans cette lente décomposition physique et mentale, le goût des « derniers croûtons de pain du pays » est la blessure déterminante qui marque le début de la véritable situation de famine. Totalement coupés de leur environnement premier, de leur village, le protagoniste et ses acolytes se voient transformés, reconfigurés, bouleversés par les conditions de la déportation. Les paysans-bûcherons que l’on suit ont été littéralement déracinés, à l’instar des arbres qu’ils avaient l’habitude de couper, et ont été éloignés de leur terre nourricière : « Auprès de nous, les paysans fraîchement déracinés de la robuste terre, ils ressemblaient à des bouleaux dépouillés et grelottants devant des chênes. » (pp. 38-39).
De retour au village après plusieurs mois d’exil et de désespérance, l’auteur-narrateur comprend que cette épreuve de déportation a considérablement reconfiguré sa manière d’appréhender le monde et de vivre la vie. Il devra porter ce fardeau jusqu’au bout.
Pour Francis André, relater cette expérience est assurément une épreuve pénible, mais nécessaire. Livrant son vécu sous la forme d’un roman dur et important, il offre au lecteur une véritable œuvre de guerre.

Louis Mores

Les affamés de Francis André est disponible en librairies et sur notre e-shop au prix de 12,50 €.

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