« L’épreuve de vérité » : Bernard Caprasse lu par Thierry Detienne
Dans Le cahier orange, Bernard Caprasse nous avait conté les désastres de la seconde guerre mondiale dans un village ardennais et, surtout, les traces profondes laissées par les trahisons entre collaborateurs et résistants. Avec Le testament inattendu, il reprend le fil de la narration suspendue non sans avoir donné aux lecteurs les éléments leur permettant de (re)prendre leurs repères, les deux volumes pouvant se lire de façon indépendante. Une fois le préliminaire posé, le récit débute en Ukraine, aux côtés de Jean d’Autremont, un jeune Ardennais qui s’est engagé dans la Légion Wallonie, ce bataillon levé par le rexiste Léon Degrelle pour contribuer, aux côtés des troupes nazies, à combattre le communisme. Il y perdra la vie dans des conditions atroces, non sans avoir aimé Olena, une jeune femme attachée aux soins des soldats et dont la trace a été perdue sans qu’elle ait pu lui dire qu’elle portait un enfant du jeune Belge.
Cinquante ans plus tard, Aymeric d’Autremont, le frère de Jean, décède sans descendance alors qu’il est à la tête d’une fortune considérable et ses héritiers supposés sont appelés chez le notaire pour la lecture de son testament. Ses deux neveux avides d’argent s’attendent à devenir riches et à pouvoir concrétiser un projet immobilier contesté, mais seule leur sœur Juliette hérite d’une part de la fortune. Considérée comme le mouton noir de la famille pour ses opinions communistes, elle est médecin et travaille en maison médicale à Molenbeek, choix inconcevable dans sa fratrie. Étonnée elle-même du sort qui lui est réservé, elle annonce d’emblée qu’elle consacrera la somme reçue à ses projets sociaux, au grand dam de ses frères lésés. Le testament mentionne d’autres bénéficiaires et précise également que le défunt met le reste de sa fortune dans les mains d’Anton Scarzini, avocat new-yorkais, en lui demandant de rechercher Olena et de veiller à ce qu’elle ne manque de rien. Il précise qu’il désigne une avocate bruxelloise, Diane Capon, comme exécuteur testamentaire, laissant les déshérités bouche bée, eux qui reçoivent le droit d’effectuer une retraite annuelle d’une semaine tous frais payés à l’abbaye d’Orval …
C’est l’exécution de ce testament improbable qui occupe l’essentiel du roman et qui nous associe aux recherches menées en vue de retrouver Olena. Ce qui impose diverses démarches dans l’empire soviétique démantelé et des remontées dans le temps, au plein cœur du système communiste. Celui des camps sordides où l’on détient celles et ceux qui ont collaboré avec l’ennemi, et celui, moins connu, des enfants des détenues, sommées de signer une déclaration d’abandon en vue de leur adoption par des privilégiés du régime en manque de descendance. Ainsi en fut-il d’Olena, et une fois celle-ci retrouvée, c’est ce garçon aujourd’hui quinquagénaire qui devient l’attention des recherches, dont il ressort qu’il est un artiste plasticien accompli et de renommée mondiale.
En fait, c’est l’inattendu et ses conséquences qui tendent le ressort de la narration. La consternation de tous face au contenu du testament et aux résultats des recherches qui s’ensuivent, qui balaient les certitudes et suscitent la révolte puis la vengeance des déçus, réanimant les haines anciennes. En contrepoint, le sang-froid des héritiers comblés que l’argent n’attire guère, ou qui lui donnent une affectation altruiste. Mais pour chacun des personnages concernés, l’inattendu crée surtout un point de basculement, un face à face avec le sens de l’existence et sa relation au passé, avec les vérités enfouies dont chacun s’était accommodé tant bien que mal. Une épreuve fondatrice qui exacerbe les tempéraments et que l’auteur dépeint avec finesse, illustrant en cela les mille et une facettes de la condition humaine.
Thierry Detienne pour Le Carnet et les Instants, 13/5/24
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