Le premier roman de Pascal Lorent

Bien des romans policiers, à l’instar de leurs nombreuses déclinaisons destinées au petit écran, entraînent le lecteur dans des récits menés au pas de charge qui prennent soin de délivrer leur dose régulière d’adrénaline. D’autres promènent tranquillement leur fiction et misent sur des atouts complémentaires pour attiser le plaisir de la lecture. 

Le premier roman de Pascal Lorent appartient résolument à la seconde catégorie, prenant bien le temps d’installer ses personnages, de construire une ambiance, de l’insérer dans un espace et un temps donnés.

Belge d’origine, l’inspecteur Hugues Ballinger est attaché à la police judiciaire et il est appelé par son commissaire divisionnaire dans les bureaux parisiens où il travaille quand il n’est pas en mission sur le terrain. Il lui est demandé avec insistance de prendre en charge une enquête à mener dans le Loiret où un journaliste vient d’être assassiné. Plus précisément dans une petite ville sur laquelle règne un maire omnipotent.  L’envoi d’un émissaire parisien vise explicitement à ce que l’enquête soit menée en faisant fi des entraves à son déroulement normal. L’accueil pressant que lui réserve le maire dans sa demeure bourgeoise donne le ton : il ne peut s’agir que d’un cambriolage qui a mal tourné, il ne se passe jamais rien dans cette bourgade où il fait bon vivre et prospérer. Il invite l’inspecteur à conclure son enquête au plus vite pour rassurer ses administrés et les commerces qui font le succès de la région.

Qui est vraiment cet homme de pouvoir rusé qui gère sa ville et ses affaires d’une main de fer, multipliant les investissements locaux qui font de lui un acteur incontournable et omniprésent ? Il n’est pas le seul à retenir l’attention de l’enquêteur qui découvre la constellation qui entoure le potentat local : un policier tout à son service, visiblement chargé de lui remettre un rapport quotidien, un journaliste local habitué à visibiliser son action, une psychologue séductrice qui gère les crises de furie du fils de l’élu et assure curieusement la fonction de bibliothécaire, jusqu’au tenancier de l’hôtel où séjourne Ballinger, qui se garde de lui en dire trop.  Il y a aussi cette insistance que plusieurs mettent à l’orienter vers une ferme à l’écart où l’on accueille un public en réinsertion et dont les tenanciers ne sont pas dans les bonnes grâces de l’opinion publique. Bref, de quoi créer un halo trouble dont aucune conviction précise ne se dégage. Après bien des contacts, le fil de l’enquête commencera à se tendre lorsqu’il apparaîtra que le journaliste d’investigation assassiné constituait un dossier sur des malversations touchant des investissements locaux, relançant les recherches  jusqu’au dénouement digne des meilleurs thrillers.

Outre l’art avec lequel l’auteur mène son récit, une part de l’intérêt de Retour à Anvie tient assurément au rendu qu’il nous donne du parcours intérieur de l’inspecteur Ballinger qui se dévoile à nous progressivement. Son histoire personnelle le relie intensément au lieu de l’enquête et les contours douloureux nous en sont dessinés en marge de l’intrigue, de sorte que nous prenons aussi toute la mesure des démons avec lesquels il se débat simultanément.

Journaliste politique, Pascal Lorent a mis pleinement son savoir-faire d’analyste au service de cette fiction qui déconstruit les évidences premières qui menacent la recherche de la vérité. Un journaliste professionnel n’est-il pas aussi et avant tout un enquêteur qui doit éviter les pièges souvent identiques qui lui sont tendus ? Avec ce roman, l’auteur met utilement en lumière les rouages de l’assujettissement ordinaire et surtout la manière dont les personnes redevables et résignées peuvent s’accommoder de cette situation, voire en tirer elles-mêmes profit. Somme toute, nous tenons là un premier roman tout en finesse à l’écriture maîtrisée qui mérite pleinement de retenir l’attention.

Thierry Detienne pour Le Carnet et les Instants.

« Retour à Anvie » de Pascal Lorent est disponible en librairie et sur notre e-shop :

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