Le Complexe du gastéropode, un humour désopilant et un rythme effréné

« Comment perdre ses plumes », un article signé Antoine Labye pour le Carnet et les Instants.

Prenez quatre jeunes auteurs prêts à tout pour percer. Installez-les confortablement dans l’aile d’un beau château. Donnez-leur trente jours pour mettre la dernière main à leur nouveau projet littéraire. Promettez à un seul d’entre eux la publication et les feux de la rampe. Attendez. Observez.

Voilà le principe actif du dernier roman de Catherine Deschepper. Sur cette trame apparemment orthodoxe se tissera un récit parfaitement imprévu, objectivement déconcertant et audacieusement burlesque.

Les premières pages donnent le ton. « Par où commencer quand on n’a rien de rien à écrire ? » Cette question pourrait figurer au frontispice de la résidence d’écriture qui sera le décor de cette histoire.

Les propriétaires des lieux, deux mécènes cherchant à se monnayer une gloire, ont choisi de mettre en compétition les heureux auteurs d’un seul et premier livre, pour l’écriture et la publication de leur prochaine œuvre.

Et puis, étant entendu que le château était bien trop grand pour un seul couple (fût-il flanqué d’une brigade de domestiques), […] « c’était ça » ou se lancer dans les locations de vacances pour Hollandais.

La liste des invités ne manque pas d’originalité. Émile, poète maudit en devenir, Nadine, autrice de développement personnel et égérie malgré elle, Nicolas, romancier ambitieux mis en panne après son coup d’essai, et Jean-Paul, autobiographe dépassé par sa propre histoire. Une drôle de colocation, où les problèmes de pages blanches passeront bientôt au second plan, lorsque l’élimination pure et simple des autres candidats s’avèrera pour l’un d’entre eux la meilleure manière d’accéder au sésame.

Il suffirait de les discréditer, de décourager leurs élans, de briser leurs enthousiasmes, d’effacer toutes traces des écrits qu’ils produiraient. En un mot, comme en cent, il allait les anéantir un par un, les battre sur leur propre terrain.

Comme dans tout bon vaudeville, les portes s’ouvrent, se referment, les confusions s’installent et les plus roublards se retrouvent souvent les dindons de la farce. Le plaisir du lecteur résidant surtout dans l’art et la manière dont se joueront et se déjoueront les multiples épisodes d’une inénarrable fresque aux allures de battle royale, sur fond de société littéraire.

Car Le complexe du gastéropode parle bel et bien de littérature. Il en parle même souvent, à tous les niveaux et sur tous les fronts. À commencer par le premier chapitre qui brise, d’entrée de jeu, toutes les vitres d’un quatrième mur qui sera franchi plus d’une fois. Notons que l’autrice écrit ici, à l’instar de ses personnages, son deuxième roman.

Les personnages, quant à eux, semblent incarner — et même caricaturer — autant de visions différentes et contradictoires de la littérature, que le lecteur a plaisir à voir se confronter dans un microcosme de laboratoire. Le tableau se verra complété par l’intervention succincte de quelques adjuvants (entre foule de fans inconditionnels et critique lapidaire) propres à faire de cette histoire une véritable comédie de mœurs.

Ils étaient pitoyables, tous autant qu’ils étaient, des pantins vivants perdus dans leur propre existence. Peut-être ce seul point pouvait-il faire d’eux des semblants d’auteurs.

Laissons cependant de côté les arguments trop sérieux et les études de cas. Dans Le complexe du gastéropode, on glisse sur des limaces, on tombe dans la piscine, on se promène tout nu, on déclenche des incendies et on se bat pour enlever une femme. À rebours de toute vraisemblance, Catherine Deschepper fait le choix d’un humour désopilant et d’un rythme effréné, qui raviront indubitablement les amateurs de narration burlesque et d’autodérision.

Antoine Labye pour Le Carnet et les Instants, 12/10/21.

« Le Complexe du gastéropode »  de Catherine Deschepper est disponible en librairie et sur notre e-shop : 

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