Larmes de crocodile, deux livres en un. Deux traversées. Une métamorphose.

Dans le blog des Lettres belges francophones du Carnet et les Instants, Samia Hammami analyse le nouveau recueil de deux textes Larmes de crocodile, suivi de Siamois, de Fidéline Dujeu :

« Alors, la poésie »

Fidéline Dujeu est poète, nouvelliste, romancière, animatrice d’ateliers d’écriture, écrivaine publique, co-fondatrice d’une maison d’édition artisanale. Elle est également thérapeute, « constellatrice ». Elle a été une petite fille naguère, et est aujourd’hui femme et mère. Et elle est encore bien d’autres contours et détours, mais ce sont ces dimensions apparentes qui nourrissent les deux textes publiés dans la collection « Plumes du Coq » chez Weyrich, rassemblés sous le titre Larmes de crocodile. « Deux livres en un. Deux traversées. Une métamorphose. »

« Des mots contre des sanglots. / C’est un risque à prendre. / Les mots sont tranchants, peut-être rien ne sera plus comme avant. C’est ce que je veux, je crois ». Dujeu entame ainsi sa traversée personnelle par-delà les pleurs fondateurs gémis, mélopés, enfouis, explosés, répété. Car « ça commence avec des larmes ». Il était une fois, donc, dans un berceau, une enfant fille qui pleurait jusqu’à épuisement d’elle-même et de sa mère éreintée. Il est une fois aussi une narratrice adulte, posant des mots sur ces flots lacrymaux translucides et rougeâtres, racontant leur histoire filiale, la croisant de figures ressurgies des contes. La Louve, les Fées, Cendrillon, Blanche-Neige, Pénélope, la Petite Sirène, le Petit Poucet, autant de personnages-phares en écho, d’emblèmes-nœuds à délier. Ils habitent l’enfant, l’aident à appréhender l’altérité et à signifier son entourage ; ils deviennent objets d’analyse, déconstructions de schémas (familiaux et sociétaux) et clefs de lecture pour la femme qui (s’)interroge et (re)construit. Dans ce dialogue croisé, elle avance, lucide : « Il faudrait écrire de nouveaux contes dans lesquels les femmes cessent de craindre les morsures de leur mère et de leurs sœurs, se débarrassent de leurs haillons, envoient valser les pots de graines et de cendres mêlées, dansent à pieds nus dans la rue, et vont leur vie ». Cela éviterait peut-être bien des larmes de crocodile

Siamois palpite d’un autre cri, terrible. Non plus celui de la fillette qui s’arrache à sa mère (et à l’enfance), mais celui de l’épouse qui se tranche de l’homme qu’elle a aimé si jeune, si longtemps, si profondément. Son amour d’adolescence, son mari de toujours, le père de ses quatre enfants ; cet inconnu chevillé au corps, arrimé au cœur. Les insécables, qui se sont perdus en cours de vie, font l’expérience de la séparation, inéluctable, douloureuse. Les manquements, les souffrances, les trahisons, les absences ont eu raison de ces entités autrefois indissociables et à présent irréconciliables. Ici, Dujeu scande l’essoufflement et l’extinction avec un style musclé, syncopé, nerveux. Pourtant, elle n’occulte pas l’espoir et la renaissance, par l’écriture et la reconnexion à soi : « Il y a une nouvelle vie devant moi. J’ai encore du mal à en distinguer les contours, mais elle est là. […] Il y a encore des lambeaux de ta peau qui s’accrochent à la mienne, je les arrache un à un. Je nous libère. » Dujeu découvre une existence où les priorités se configurent d’elles-mêmes, comme celles de (s’)aimer et de (s’)écrire.

Samia Hammami

« Larmes de crocodile »  de Fidéline Dujeu est disponible en librairie et sur notre e-shop : 

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