La Course à la Meuse vient de paraitre
Hugues Wenkin signe son deuxième volume La Course à la Meuse qui vient enrichir sa collection Bastogne – Bataille des Ardennes. L’ouvrage vient de paraitre chez Weyrich. Interview de l’auteur.
Dans votre premier volume La Percée allemande, dans votre série Bastogne, vous affirmiez : « Les Ardennes n’étaient pas défendues ! Combien de fois encore devrons-nous entendre cette version erronée des prémices de la bataille qui s’y déroule en 1944 ? » Dans le deuxième volume qui paraît en cette fin d’année 2022, quelle vérité majeure corrigez-vous cette fois ?
Lorsque l’on évoque la bataille des Ardennes, on a l’impression que c’est une histoire uniquement américaine. C’est le cas pour le secteur de la Third Army de Patton, c’est cependant largement erroné pour les autres endroits du front. Dans la moitié nord du saillant, l’intervention britannique est essentielle. Si Eisenhower a confié la gestion de la bataille au maréchal Montgomery, c’est qu’il avait des raisons impérieuses de le faire : sans l’apport des troupes anglaises, point de salut pour le front US.
Dans votre ouvrage, vous évoquez aussi la 101st Airborne Division en soulignant que « les paras à la tête d’aigle » ne sont pas les principaux responsables de la défaite allemande. Ils ont joué un rôle essentiellement passif dans cette phase des combats… et la bien trop fameuse Easy Company en particulier ! Certes, il y a eu de grands moments de bravoure dans les rangs de la division sous les ordres de McAuliffe, mais aussi des moments de faiblesse qui auraient pu être fatals. Vous pouvez développer un peu ?
La montée en ligne a été très chaotique. L’unité est au repos après une campagne de Hollande éprouvante. Son encadrement n’est pas sur place quand l’affaire se déclenche. L’état logistique de la division est désastreux le 18 décembre. Son armement individuel est usé jusqu’à la corde, les vêtements d’hiver n’ont pas été distribués, certains soldats n’ont plus de casques… La remise en état dans l’urgence est certes un exploit, mais l’unité ne peut réellement compter que sur son potentiel humain pour traverser l’épreuve qui l’attend. Par contre, quand la 101st Abn-div démarre de Mourmelon, elle se dirige vers le mauvais endroit du front. Elle a bien failli se retrouver à Werbomont et laisser un trou béant à Bastogne. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, l’historiographie américaine n’évoque que très rarement les erreurs qui desservent l’apparence qualitative de la performance de l’US Army.
C’est quand même les Aigles hurlants qui tiennent dans Bastogne ?
Certes, mais leur déploiement a été permis par un écran efficace tenu par les hommes du CCB de la 10th AD qui arrivent avant les paras et vont au choc à Noville, Longvilly et Wardin. Ils gagnent le temps nécessaire pour que les paras puissent prendre position. Les soldats de la 10th D rejoignent alors le périmètre de Bastogne et combattent aussi valeureusement que les hommes de McAuliffe pour tenir la ville. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls, de nombreuses batteries d’artillerie participent également au siège. L’histoire n’a pratiquement retenu que les Aigles hurlants.

Pourquoi parler de Bastogne en évoquant les combats sur la Meuse à Dinant ?
Pour remettre Bastogne dans son contexte. On pense trop souvent que c’est le siège de Bastogne qui a permis de gagner la bataille des Ardennes. Or, Bastogne n’est finalement qu’un barrage à un carrefour. La ville a été contournée et est devenue un abcès de fixation. Cela a permis de ralentir la progression allemande, mais rien n’était joué. Si la 84th ID à Marche n’avait pas tenu, Bastogne aurait eu moins d’importance en tant que bouchon. L’intervention de l’aviation a été tout aussi capitale. La présence du XXX Corps britannique à Dinant a terminé de bloquer la pointe blindée allemande. Bastogne n’est qu’un élément parmi d’autres et n’a pas nécessairement été continuellement le point le plus chaud du front. Expliquer ses conséquences ne peut se passer d’une présentation dans un tableau d’ensemble. Dans le troisième tome de ce premier cycle, je reviendrai sur ce qu’il se passe dans Bastogne du 21 au 26 décembre. Nous avons des archives inédites qui vont encore éclairer d’un jour nouveau cette bataille si connue.
En conclusion de votre ouvrage, vous affirmez que le maréchal britannique a su, plus vite que Eisenhower et ses généraux américains, déceler le véritable danger du plan allemand.
Il apparaît très clairement dans les messages que Montgomery envoie à ses supérieurs qu’il a une conscience bien plus précise de la situation que les généraux américains. C’est lui qui voit clair le plus vite dans les intentions allemandes et qui comprend l’ampleur de la menace pour son propre secteur. Il prend donc d’emblée des mesures efficaces qui sauvent la mise in extremis à Dinant. Il demeure ensuite à la tête du secteur qui prend tous les coups de boutoirs germaniques. Ses décisions judicieuses permettent de tenir tête victorieusement à l’assaillant.
Reconnaître l’efficacité de Montgomery aurait donc affaibli l’image que Eisenhower voulait donner de lui. Cette fameuse croisade menée en Europe va lui permettre de devenir le trente-quatrième président des États-Unis. L’historien que vous êtes remet donc les pendules à l’heure !
Politiquement, placer des GI sous les ordres des Britanniques a été une décision très sensible pour l’opinion publique américaine. Au moment de la campagne présidentielle d’Eisenhower, la polémique n’était pas éteinte. Elle a même fait peur à l’administration qui déclasse des éléments de messages judicieusement choisis. Sortis de leur contexte, ils ont pour effet de ternir la réputation du Britannique. Diminuer l’impact de Montgomery revient à augmenter le mérite de son chef devenu présidentiable. En tant que Belges, nous avons la chance de pouvoir avoir un point de vue dépourvu de moindre esprit de clocher. Notre approche est donc nécessairement plus neutre, aucune fierté nationale ne nous pousse à prendre une autre position que ce qui nous apparaît comme le plus cohérent.
Vous évoquiez la publication d’un troisième tome dans le cadre d’un premier cycle, pouvez-vous décrire l’évolution future de la collection.
Nous avons défini plusieurs formats clés. Le Mook est un outil de communication et une vitrine de notre savoir-faire. La série « sur les traces de » est complémentaire pour aider nos lecteurs à retourner sur le terrain plus facilement et s’immerger dans les endroits mythiques des anciennes batailles. Les problématiques ponctuelles plus resserrées sont traitées dans notre série de brochés, par exemple le « Trois-Ponts » que nous présentons dans ce présent Mook. La série des cartonnés, nos King Mook, a pour objet de revisiter les différentes campagnes dans leur ensemble. Le secteur autour de Bastogne va être traité en deux cycles de trois volumes : trois avant la percée de Patton, trois après. Outre ces 1200 pages, d’autres cycles sont en préparation. Le but est de disposer d’un panorama complet des campagnes militaires qui se sont déroulées sur le sol belge pendant la Seconde Guerre mondiale. Une bonne vingtaine d’albums au total constitueront cette collection à un rythme de parution de deux, voire trois albums par an. Nous avons choisi une structuration en cycle de trois tomes, car c’est une philosophie qui marche très bien dans les longues suites en BD et cela colle à ce que nous voulons faire. Le cycle correspond à une phase de la bataille dans un secteur, les trois tomes à un schéma narratif : la montée de la crise, son paroxysme et son dénouement.
« Bastogne- Tome 2- La course à la Meuse » de Hugues Wenkin est disponible en librairie et sur notre e-shop :
