Jules Boulard chante et célèbre l’Ardenne

Quel plaisir de retrouver Jules Boulard ! Voilà quelque temps qu’il se faisait désirer. L’attente valait la chandelle. La voici plus que comblée aujourd’hui avec « La Morsure du feu ».

Jules Boulard, c’est l’agencement soyeux des mots ; ce sont les retrouvailles avec l’ambiance particulière des jours d’autrefois. C’est une rencontre avec des visages, des émotions, des gestes, des objets devenus rares aujourd’hui, perdus même souvent. Ce sont des saveurs, des paysages, des sons, des senteurs et des silences. Ce sont les odeurs entêtantes des foins, de l’humus et des prés. Ce sont les facéties du vent dans les arbres, les tribulations des cours d’eau et les stridulations de la lumière sur les pierres. Ce sont les gerçures du froid, les brûlures des travaux des champs, les éreintements du travail en forêt. C’est la respiration des jours, des saisons et des ans ; leur poids sur les dos qui se fortifient, s’enhardissent, puis s’épuisent et se voûtent. C’est la vie qui sculpte les mains, creuse les visages, éclaircit ou assombrit les âmes. C’est la procession des êtres avec leur part de noblesse et de bassesse, de courage et de lâcheté que l’auteur restitue dans leur spécificité ardennaise. Quel régal !

« La Morsure du feu » nous transporte dans l’Ardenne des années vingt, au cœur de la vallée de la Lesse. On y découvre Aubain qui quitte l’enfance et que l’adolescence précipite, sans grand ménagement, à l’orée des remuements adultes. Premiers émois, initiations, déceptions et trahisons, secrets de famille, mais aussi rencontres et amitiés avec, au bout, la révélation à soi-même. Une révélation salvatrice qui ouvre sur tous les possibles auxquels la jeunesse, la force et l’intelligence d’Aubain donnent un élan. Un récit profondément optimiste donc. Ce qui le rend encore plus beau, encore plus attachant. Mais sans concession à une nostalgie facile ou à une mièvrerie navrante. Bien au contraire.

Si Jules Boulard nous montre combien il est un coloriste doué, un paysagiste sensible et un mélodiste habile, il est bien sûr et surtout un observateur lucide de la pâte humaine. Un lucide qui se garde bien des jugements, du mépris ou du dédain d’un moraliste. Ces personnages qu’il crée, il les fait sentir, parler, travailler, aimer ; il les dresse dans leurs contradictions, leurs pulsions, leur gravité ou légèreté ; mais ils conservent toujours une dignité. C’est sans doute encore plus marqué dans « La Morsure du feu ». L’auteur nous y parle d’un monde qu’il aime, aujourd’hui disparu, mais dont les vibrations se laissent encore sentir jusqu’à lui et dont il nous partage le chant. Avec la minutie et le tact de celui qui connaît la valeur de ce qu’il offre. Un chant où puiser l’inspiration pour l’avenir que nous avons à créer. Un récit comme source d’espoir et de confiance. Un testament peut-être. Et pourquoi pas ?

Giono chantait la Provence, Vincenot a merveilleusement célébré la Bourgogne. Jules Boulard chante et célèbre l’Ardenne avec un même bonheur. Preuve s’il en est que le roman dit régionaliste a réellement une portée universelle. Signe des bons textes et des auteurs excellents. Alors, ne boudons pas notre plaisir !

Baudouin Delaite

« La Morsure du feu »  de Jules Boulard est disponible en librairie et sur notre e-shop : 

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