Jeux de doubles au Palais des Glaces

Dans Mémoires sélectives, Catherine Deschepper éprouve un plaisir visible à brouiller les pistes, à jouer avec les codes du roman policier pour mieux duper ses lecteurs et lectrices.

Ainsi, elle campe le personnage de Wilfrid Zondag, inspecteur de police qui à force d’affaires ratées s’est vu relégué en responsable des fugues de patients atteints d’Alzheimer. Une sorte d’ « Inspecteur du dimanche » sans prestige ni galons qui traîne son ennui dans les rues et maisons de retraite bruxelloises. Au cours de ses pérégrinations, il assiste un peu par hasard à l’enterrement de Marie-Joséphine de la Marinière, égotique bourgeoise dont la sœur, à la sortie de l’église, s’épanche sur l’épaule de l’inspecteur. Elle croit en effet reconnaitre en lui Jacques, le psychiatre et éminence grise de sa sœur, dont Zondag est le parfait sosie. Dans la confusion, elle fait part de son absolue conviction : sa sœur, prétendument suicidée, a certainement été assassinée. L’inspecteur Zondag perçoit dans ces confidences les prémices d’une affaire à suivre, autrement plus piquante qu’une fugue d’octogénaire. L’occasion, par la démonstration de sa finesse d’esprit et de son sens de la logique jusque-là ignorés, de gagner enfin l’estime de son patron et de ses collègues, et d’impressionner son épouse Sonia qu’il aime tant et qui lui échappe ces derniers temps.

Dès les premières pages du roman, les portraits se confondent et les jeux de miroirs se multiplient. Tout est sujet à équivoque, à commencer par la fugue d’un vieillard qui, poursuivi par Zondag, se réfugie symboliquement dans l’attraction du Palais des Glaces à la Foire du Midi. En sous-texte, l’on comprend que ce que l’on croit percevoir ne sera qu’illusion. L’inspecteur est-il aussi fini qu’il y parait ? Le psychiatre est-il plus sain d’esprit que ses patients ? Le vieillard est-il réellement sénile ? Et bien sûr, Marie-Joséphine de la Marinière a-t-elle choisi de quitter ce monde dans un geste à la fois théâtral et désespéré ?

L’autrice d’Un kiwi dans le cendrier s’amuse à brouiller les pistes, en romancière démiurge qui fait valoir qu’en littérature, tout est possible, dire une chose et montrer son contraire, pousser les limites de la vraisemblance, quitte à donner exactement le même physique à deux personnages, puisqu’écrire c’est faire croire. Dans la première partie, on suit alternativement Jacques puis Zondag, deux points de vue confrontés dans une étrange gémellité. La deuxième partie laisse place à l’enquête, imposant au lecteur la même pression que celle infligée par le divisionnaire à l’inspecteur : dix jours, pas un de plus, pour sonder chaque piste de l’affaire.

Catherine Deschepper aime ses personnages, s’amuse de leurs errements et maladresses, s’émeut aussi de leurs angoisses existentielles, le tout servant un polar bruxellois aux dialogues vifs et enlevés.

Caroline Berger pour Le carnet et les Instants, 25 octobre 2024

« Mémoires sélectives » de Catherine Deschepper est disponible en librairie et sur notre e-shop :

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