Il a choisi de revenir après avoir disparu
Sa famille le pensait mort. Il est rentré chez lui le jour de la fête des Mères. Ce journal, tenu au jour le jour durant son voyage, lève le voile sur son incroyable aventure et Ralf Bouffioux y explique son choix de tout quitter du jour au lendemain.
Le cas de Ralf Bouffioux est particulier : si elle fut la conséquence directe d’une période douloureuse à bien des égards, sa fuite a donné naissance à une aventure exceptionnelle. Un tour de l’Europe à vélo, étalé sur quinze mois, au quotidien souvent éprouvant, mais lors duquel la chance fut sa plus grande alliée. Allemagne, Italie, France, Espagne, Portugal… Ralf allait « de ville en ville », trouvant l’hospitalité chez l’habitant. La fin du voyage, médiatisée et digne d’un film hollywoodien, continue à susciter un vif intérêt.
Dans ce bref interview, Ralf nous explique pourquoi il a souhaité écrire un livre et raconter son histoire pas simple.
Quelles sont les motivations qui t’ont poussé à écrire cet ouvrage ?
Une fois rentré de mon tour de l’Europe et passé les joies des retrouvailles, beaucoup de proches et de connaissances ont manifesté leur curiosité pour ce que j’avais vécu durant ces 15 mois de disparition. L’idée de publier le journal intime que je tenais au jour le jour n’a pas eu de mal à germer. Bien que le regard tourné vers l’avenir, je me suis donc attelé à cette tâche de mémoire des plus complexes. C’était pour moi une manière d’immortaliser tout ce que j’avais vécu tout en m’aidant à tourner la page définitivement avec la période la plus tourmentée de ma vie.
Tu es l’un des rares « disparus » qui soit réapparu… et qui partage son expérience, qui ose s’expliquer. Comment réagissent les gens autour de toi quand tu parles de ton histoire ?
Au premier abord, les gens sont intrigués. Ils veulent savoir ce qui s’est passé et comprendre les raisons d’un choix aussi radical, celui de tout plaquer du jour au lendemain sans se retourner. Ils découvrent, au fil de mon récit, le contexte douloureux dans lequel je dépérissais, l’impasse dans laquelle j’étais bloqué avant que je ne décide de disparaître. Tout s’éclaircit alors un peu, l’envie de certains de me juger s’apaise, même si l’inquiétude vis-à-vis de mes proches est évoquée, ce qui est on ne peut plus compréhensible (je suis bien placé pour le savoir).
Pour l’instant, je n’ai que des retombées positives par rapport à cette histoire. Je suis même parfois surpris de croiser des gens qui ont connu le même genre de situation et qui trouvent un écho dans mon témoignage.
Tu es revenu de ton échappée… est-ce difficile de revenir après avoir organisé sa propre disparition ?
Le plus difficile pour moi fut les derniers jours du périple, la fin étant si proche. J’étais rongé par les remords, inquiet quant à ce que j’allais découvrir en resurgissant subitement après 15 mois d’absence et de silence. J’étais épuisé tant physiquement que psychologiquement. La charge émotionnelle était à son comble. Mais je ne pouvais plus rebrousser chemin. Il fallait que je mette un terme à tout cela, peu importe ce qui m’attendait.
Quel soulagement j’ai éprouvé en retrouvant mes proches au complet, heureux de me voir et vice-versa ! C’était un moment digne d’un film ! Mais très vite, passé les joies des retrouvailles, c’était comme si toute cette histoire n’était déjà plus qu’un mauvais souvenir et que la vie pouvait reprendre son cours normalement. Ils ne m’en ont jamais voulu.
Est-ce que tu as ressenti une lutte intérieure durant ton périple ? Entre partir définitivement ou revenir, tout recommencer ?
Passé les premiers jours de fuite et cette période d’errance dans le nord de l’Allemagne, il était évident pour moi que je ne pouvais plus continuer d’avancer comme cela, sans itinéraire ni but. C’est à Francfort qu’est apparue cette idée d’entreprendre un tour de l’Europe à vélo, une boucle gigantesque qui prévoyait déjà un retour parmi les miens. Car même si, à ce moment-là, je ne voulais pas faire marche arrière et que j’avais besoin de temps avec moi-même, rentrer à la maison un jour était un objectif. Une récompense pour la réussite d’un challenge d’envergure destiné à me prouver à moi-même que j’étais capable de réaliser quelque chose de grand, après de si longues années de déception, de sensation d’échec. Ne jamais revenir aurait été injuste envers mes proches qui n’avaient pas mérité cela, eux qui m’ont toujours entouré.
Cela dit, une fois rentré, il a fallu que je fasse le ménage dans ma vie par crainte de retomber dans le même environnement toxique qui m’avait poussé à disparaître. Raison pour laquelle je suis reparti de zéro dans une grande ville avec un nouveau toit, de nouveaux amis et un nouveau job, sans pour autant oublier mes racines.
Est-ce que revenir fut difficile pour toi et tes proches ?
Comme évoqué précédemment, il fut difficile pour moi d’affronter les conséquences de mes actes au lieu de leur tourner le dos comme je l’avais fait depuis mon départ. Ce sont les remords et la curiosité qui m’ont poussé à vouloir savoir, à vouloir voir de mes propres yeux. À partir de là, envoyer un signe de vie et rentrer à la maison pour mettre fin au calvaire que mes proches enduraient était la meilleure chose à faire et je n’en ai jamais douté. Ces deux caps difficiles devaient être franchis et j’y suis arrivé. Retrouver une vie normale fut en revanche très facile.
Avec du recul, je peux sans hésiter dire que ne pas revenir aurait été beaucoup plus difficile tant pour moi que pour mes proches.
Ta vie a-t-elle changé aujourd’hui grâce à cette expérience ?
Je ne suis plus la même personne que j’étais avant ma disparition. Ce périple et la survie que j’ai menés durant ces 15 mois de vélo et d’hospitalité m’ont prouvé qu’il y avait une force en moi que j’ignorais. Une rage de vivre qui ne pouvait se manifester que dans ce genre de contexte extrême. J’en suis revenu grandi, plus solide psychologiquement, avec l’envie d’aller de l’avant, de me prendre en main, prêt à surmonter les problèmes que la vie me réserverait.
Les disparus qui réapparaissent sont-ils nombreux ?
Je n’ai pas de chiffres précis et je n’ai pas fait de thèse sur le sujet mais je sais qu’une majorité des disparus réapparaissent vivants ou morts. Dans ce dernier cas de figure, bien que l’issue soit tragique, elle permet néanmoins aux proches d’entamer un processus de deuil, de tourner la page et de reprendre une vie plus normale, chose impossible sans retour. Cela fait de la disparition un des scénarios les plus difficiles à vivre pour celles et ceux qui, éternellement, seront dans l’attente, tiraillés entre espoir et désespoir.
Est-ce que le regard et/ou le jugement des autres changent après la lecture de ton livre ?
Les quelques retours que j’ai reçus après la lecture de mon livre vont dans ce sens. Les gens intrigués par ce récit, peut-être heurtés par son synopsis, y trouvent des explications aux questions des plus naturelles qu’ils puissent se poser face au côté dramatique de cette histoire. Après quoi, leur regard change et l’envie de juger s’estompe. Mais cela demande toujours un effort.
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