Explorer toutes les lisières par Christian Merveille
Un livre majeur au titre curieux, La Confiture de morts, a été couronné par le prix Rossel 2020. L’occasion de découvrir l’univers romanesque de Catherine Barreau, une auteure qui mène son lecteur hors de ses frontières.
« Je suis une débutante tardive, déclare amusée Catherine Barreau. Ma joie est aujourd’hui d’autant plus grande que je n’attendais plus rien. Je croyais que mon roman allait vivre tranquillement, dans l’ombre, sa petite vie de roman. » Si le prix Rossel, décerné chaque année à un ou une écrivain·e belge, la réjouit, il va aussi combler de bonheur un plus grand nombre de lecteurs qui vont découvrir cet ouvrage grâce à ce coup de projecteur bien mérité.
La Confiture de morts est un de ces livres qui demeurent en tête bien longtemps après l’avoir refermé. Dès la première page, l’intrigue est nouée, les personnages sont présents et attachants. Véra est une jeune fille au caractère trempé et entier, en perpétuel conflit de loyauté avec elle-même. Elle préfère ne pas avoir à choisir le meilleur poète dans une anthologie. Elle échange avec des SDF plutôt que de jouer à la bienfaitrice. Elle agit toujours en allant au bout de sa détermination, fidèle à ce qu’elle croit être. Elle vit avec son père qui s’absente chaque week-end pour un hameau au nom mystérieux – Mortepire – d’où il lui ramène de “la confiture de m orts”. Une marmelade réalisée avec divers fruits provenant d’un verger attenant au cimetière tout proche. Très vite, on apprend qu’ils sont liés d’une manière assez vague par de nombreux souvenirs, par des déchirures, une promesse dont Véra tente de se soustraire, un carnet secret feuilleté par hasard.
DES LIEUX D’APPARTENANCE
Et voilà le lecteur embarqué dans des lieux incarnés, à la lisière des entre-deux qui oppresse comme des couches de schistes, au coeur du mystère de toute vie. « Mon imagination travaille beaucoup et j’ai besoin pour écrire d’un solide ancrage sensoriel, confie la romancière. D’ailleurs, ce qui m’importe, plus que le lieu, c’est la présence à ce lieu. » Ces lieux, sont autant de personnages, que ce soit la ville de Namur qu’on arpente d’un regard neuf ou la Gaume et sa « frontière de vent » avec l’Ardenne.
À chaque fois, des images surgissent, des sensations naissent, des odeurs montent au nez. « Au-delà de la quête d’un lieu, c’est un roman sur l’appartenance. Appartenance à une famille, à un groupe, à un pays, à une culture. Il est important de s’y ancrer. Mais si cette situation ferme une frontière et qu’elle dit à l’autre : “Toi, tu ne peux pas en être”, arrive le moment où ce côté excluant peut devenir très violent. Il est important de structurer, d’établir des différences, mais pas de cloisonner. Il est alors nécessaire d’ouvrir et d’explorer. »
QUÊTE DE SOI
L’histoire de Vera se révèle au fil des pages racontée sous forme de cercles, de retours en arrière qui font progresser l’intense récit de cette quête de soi. Il faut attendre les dernières pages pour découvrir comment elle finit « par trouver sa place entre la folie et la raison, entre la loyauté et la trahison, entre la vie et la mort, le corps et l’âme ». Peut-être parce qu’elle a découvert « la liberté qui est cette clé qui ouvre et qui ne ferme pas » ?
La confiture de morts est aussi un hommage à la littérature. Son héroïne est une lectrice boulimique qui s’accroche aux livres comme à des bouées. Elle les dévore et donne sans doute la clé de sa quête lorsqu’elle cite les mots de Faulkner : « J’ai entendu un écho, mais pas le coup de feu. » Ce roman offre un récit de vie qui tente de comprendre ce que peut être ce « coup de feu » originel dont l’écho résonne profondément durant toute une vie. Et arriver au constat que l’« on n’est pas ce qu’on croit être. Il faut vivre longtemps sa propre compagnie pour s’accorder la paix. » Une paix intérieure qui ouvre à la vie.
Article signé Christian Merveille pour L’appel, février 2021.
« La Confiture de morts » de Catherine Barreau est disponible en librairie et sur notre e-shop :