Et si ce Traceur de lignes était vous ?

« Le Traceur de lignes », revu et augmenté, ou l’histoire d’un homme en déroute. Avec un clin d’oeil d’Amélie Nothomb. À (re)lire !
« En 2014, j’ai relu mon premier roman : c’était son anniversaire, dix ans d’âge ». C’est avec cette phrase que s’entame la discussion.
Jacques Nicolas ajoute alors qu’il s’est surpris à mettre des annotations dans les marges. Étrange et paradoxale attitude de l’écrivain toujours en quête de sens, en réécriture. « L’envie pour moi d’ajouter des passages.  »

Les lecteurs qui ont lu Le Traceur de lignes en 2004, première édition chez Adamek, pointeront aisément du doigt les lignes ajoutées, 30 % d’augmentation du récit, dans cette nouvelle édition, « revue et augmentée », fraîchement sortie dans la collection Plumes du Coq aux éditions Weyrich.

« Pour bien comprendre, il faut savoir que le traceur est un roman à trois voies », glisse Jacques Nicolas.

 

Le Bateau ivre le fait tanguer jusqu’à la chute
Le récit plane au-dessus d’un seul personnage, Albert Soureuil. Le double de Jacques Nicolas ? Dans certains traits, oui, sans doute.
Le récit glisse sur trois cheminements. Les lignes tracées par Albert Soureuil qui quitte sa femme et son fils pour vivre comme un clodo à Paris puis dans un cabanon au coeur de la forêt.
Ce point de vue est écrit au présent. On marche dans les pas sales, bruts, impitoyables et meurtris du personnage. Les routes sont déglinguées et cohabitent avec les rats.
La deuxième voie : les lignes du passé, les souvenirs, les réminiscences. « Au cours de son errance, un élément de décor, une musique, une odeur le ramène dans le passé qu’il revisite, fouille à la recherche de son identité et sans doute pour savoir ce qu’il s’est passé la veille de sa fugue, »
En effet, il souffre d’amnésie partielle et cela l’intrigue. Et, enfin, les lignes de la poésie, sublimes, éternelles, avec, en filigrane, les vers inouïs du Bateau ivre de Rimbaud, un poème qu’il a étudié par coeur quelques années auparavant. Ce bateau fantôme le fait tanguer jusqu’à la chute.

 

Amélie Nothomb : « le coupable, c’est vous ! »
D’un réalisme brut qui accroît sa portée émotionnelle, l’écriture de Jacques Nicolas prend aux tripes, dévastatrice. Les silences d’Albert Soureuil se cachent sous l’asphalte, entre les murs qui cachent ce qu’ils ont trop vécu et se gardent de toute illusion. Au fur et à mesure et de ce que l’on sait, furtivement de l’auteur, on se permet de plagier cette mémorable phrase de Flaubert : « Madame Bovary, c’est moi. »

Le Traceur de lignesJacques Nicolas a-t-il, ne fût-ce qu’un instant, pensé : « Albert Soureuil, c’est moi ? » On n’a pas besoin de le savoir in fine. L’auteur se confiera, entre deux mots : « Un jour, j’ai su qui était Albert Soureuil et pourquoi il avait fugué. La genèse du traceur ? Je me suis mis à l’écriture très tard, quand j’ai pris ma retraite. Tout a commencé par une phrase écrite dans un carnet : ‘‘ Les rats glissent furtifs. Sur les rails.’’ »

La suite est palpitante, dérangeante. Par la force d’une écriture suspendue et poétique où chaque mot semble savamment pesé, le récit peut se lire sans halte et troublera, avec certitude, les souvenirs du lecteur. Point final à cette histoire, la touche d’Amélie Nothomb, elle-même troublée dans sa lecture : «. Ce matin, dans le train, j’ai lu votre livre […] À l’arrivée, je ne savais pas très bien où j’étais : quelque part entre les lignes que vous avez tracées. Peut-être ma disparition a-telle été constatée. Une seule certitude, le coupable, c’est vous ! », répondra-t-elle à Jacques Nicolas.
Cette phrase nous fait écho.

Article signé Marielle Gillet pour L’Avenir de Luxembourg, 7/2/18..

 

« Le Traceur de lignes » de Jacques Nicolas est disponible en librairies et sur notre e-shop au prix de 14 €.

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