En route vers Mars, en mook et en BD

Compliquée, la conquête de l’espace ? Pas quand elle est expliquée avec des mots simples par des spécialistes.

Une interview de Didier Schmitt par Isabelle Monnart

Pour le scientifique qu’il est, le plus difficile, dans la conception de ce premier numéro du mook consacré à Mars, fut de faire simple. « Ma ligne éditoriale est claire : on veut laisser parler les gens, il faut que les scientifiques et les ingénieurs s’expriment mais, évidemment, ils sont dans leur monde. Il faut de l’empathie quand on écrit. Si on ne se met pas à la place de celui qui va lire, on n’arrive pas à écrire correctement. Donc, il y avait une difficulté à amener les gens à écrire à un certain niveau. Il y a eu beaucoup de relectures et de corrections », explique Didier Schmitt. 

EST-CE QUE CE MOOK SERT AUSSI À METTRE À MAL LES PHANTASMES AUTOUR DE L’ESPACE ?

« Bien sûr. Quand je vois le nombre d’âneries que l’on peut lire, même dans des magazines spécialisés, c’est terrifiant. J’ai consulté un hors-série sur l’exploration, qui reprenait des articles américains qui dataient vraiment, sans même ajuster les dates. On y racontait les mêmes inepties que les auteurs américains, sans vérifier. L’un des intérêts de ce mook, c’est d e redonner une “vérité”, entre guillemets. Qu’on arrête de reprendre les discours d’Elon Musk comme si c’était un messie. J’ai assisté à une de ses conférences, à Adélaïde. C’est quelqu’un qui sait parler à la foule, il est très théâtral et cinq minutes après, cela faisait la Une des journaux. Alors que ce qu’il racontait, c’étaient des inepties. Mais ces gens-là ont d’autres intérêts : personnels, financiers… Ensuite, il y a une forme de messianisme de l’exploration, comme si on allait sauver la Terre en allant sur Mars. Moi, je voulais ramener les gens sur terre. On a besoin de rêver, oui. Mais pas avec des imbécillités. C’est aussi ce que je tente de faire dans la bande dessinée Safari rouge, où je fais de l’anticipation technologique. Ce n’est pas de la science-fiction, c’est de la fiction scientifique. Nous sommes en 2080 mais les choses sont plausibles et raisonnables. Ce n’est pas Hollywood. On n’a pas non plus besoin de faire rêver en racontant tout ce que fait la Nasa. On fait beaucoup de choses nous-mêmes, à l’Esa, on les fait souvent mieux, avec dix fois moins d’argent et de façon plus raisonnable.

“NÉANMOINS, CES MISSIONS SPATIALES ONT TOUT DE MÊME UN BUT DE RECHERCHE…”

Absolument. Je suis assez bien placé pour le dire puisque j’ai été responsable des programmes d’utilisation de la station spatiale pendant quelques années. Ce qui est intéressant dans le spatial et dans l’expédition, c’est que vous mettez la barre très haut. Si vous pouvez faire vivre dix personnes dans une station spatiale, vous pouvez aussi bien appliquer toutes les technologies autour, de support-vie, de recyclage, de télémédecine sur terre. C e n’est pas justificatif en soi. On ne va pas se voiler la face : on ne met pas des milliards dans l’exploration pour avoir des retombées de centaines de millions mais c’est une réalité et il faut le faire. Mais être en orbite autour de la terre est une chose, aller sur la Lune ou sur Mars en est une autre. Si vous voulez faire vivre des gens pendant trois ans dans un vaisseau avec zéro possibilité de retour, ce n’est pas rien. Les challenges sont énormes du point de vue support médical, autonomie avec les impressions 3D, du recyclage de l’eau, de l’apport en nourriture. Et ça nous montre bien que la Terre est un système fermé. Il n’y a que les ultraviolets et la photosynthèse qui nous permettent de vivre, tout le reste, c’est un système fermé : l’atmosphère, la terre. Un vaisseau spatial, c’est pareil. Donc, tout ce que l’on va pouvoir faire et apprendre en y étant aura des retombées significatives sur ce que l’on fait sur Terre. En plus, ça élève un peu l’esprit, ça permet d’amener une meilleure compréhension sur les limites de ce que la Terre peut absorber. Dans un vaisseau spatial, si vous exagérez sur quelque chose, le système de recyclage ne va plus fonctionner. C’est un système de réciprocité entre la technologie et l’humain. » 

Isabelle Monnart pour DH Mag, 11/4/20

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