Deux arrachements, à la mère et à l’amant
Trois étoiles pour « Larmes de crocodile » dans Le Soir !
C’est l’histoire d’une femme qui raconte comment elle s’est libérée de sa mère et de son mari. Et comment elle s’est reconstruite. Fidéline Dujeu fait sonner ces métamorphoses comme des poésies ou comme des contes.
Larmes de crocodile et Siamoise. « Deux livres en un. Deux traversées. Une métamorphose. » La narratrice revient sur sa vie. Sans doute est-ce Fidéline Dujeu. Peut-être pas tout à fait : la fiction l’emporte tellement souvent sur la réalité. « Ce sera mon histoire et ce sera la vôtre. Ce ne sera l’histoire de personne. »
Elle narre sa vie d’enfant, sa vie d’amante. Elle raconte comment elle s’est séparée de sa mère pour mieux la rejoindre : « A la fin, la mère et la fille se retrouvèrent et vécurent heureuses le reste de leur vie. » Elle raconte comment elle s’est séparée de son mari pour mieux se reconnaître elle-même : « Il y a encore des lambeaux de ta peau qui s’accrochent à la mienne. Je les arrache un à un. Je nous libère. »
D’abord, ce sont les larmes. Celles de l’enfant fille, comme dit l’autrice. Celles d’une fillette qui pleure. Pour attirer l’attention de sa mère, pour qu’elle l’entende, pour qu’elle les voie, ces larmes. « Je suis toujours dans ce besoin-là », écrit-elle aujourd’hui. « Ce sont mes larmes de crocodile que je t’écris, tes larmes déniées. » Ce premier livre du duo, ce sont des mots contre des sanglots. Des mots pour que les larmes sèchent. Une histoire pour que l’amour fou s’apaise et que la sérénité survienne. Pour qu’enfin les ronces dépérissent, les gouffres se gomment, les montagnes se rabaissent, les dragons rentrent au nid. Pour que les contes de fées trouvent une fin heureuse.
Écrire pour se libérer
L’enfant fille lit beaucoup, écrit aussi. Son enfance ne peut donc se raconter qu’au rythme des contes de fées et des légendes. Cendrillon, Blanche-Neige, le Petit Poucet, la Petite Sirène sont au rendez-vous, leurs métaphores psychologiques aussi. La mal-aimée, la trop belle qu’on veut tuer, celle qui, au fond de son palais sous l’eau, rêve d’ailleurs. D’une mère qui la prenne dans ses bras. Mais aussi d’enfin s’arracher à l’enfance.
L’enfant femme lit beaucoup, écrit aussi. Sa rupture d’avec son mari, son amant, son siamois, son amour d’adolescence, le père de ses quatre enfants, ne peut donc se dire qu’à travers la poésie, le souffle des mots, la musique des phrases, la beauté des images, la nervosité du rythme. Et en chanson : Abba, Sheller, Sanson, « Bagdad Café »… C’est l’écriture qui lui permet de franchir tous les écueils. Elle dit, la narratrice ou Fidéline : « Ecrire écrire écrire parce que je ne sais rien faire d’autre, c’est ça ou devenir folle ou criser nerveuse. » Et encore : « Reprendre l’écriture pour qu’enfin la douleur disparaisse. » Ecrire pour traverser la souffrance, écrire pour tenir debout, écrire pour se libérer. Ecrire pour donner forme au passé, le comprendre, s’en débarrasser, l’oublier, non, mais au moins en être quitte. Ecrire pour « enfin croire aux jours qui s’annoncent plutôt qu’à ceux qui sont passés. »
« C’est un matin d’été, la brume est déjà levée, les mésanges chantent, un merle peut-être aussi, les nuages sont roses, il va faire beau. » Fidéline Dujeu nous a conquis.
Jean-Claude Vantroyen pour Le Soir, 26-27 juin 2021.
« Larmes de crocodile » de Fidéline Dujeu est disponible en librairie et sur notre e-shop :