Comme à la guerre
La collection « Noir corbeau » ancre ses intrigues à deux pas de chez nous, avec le parti pris, là ou d’autres collections évitent les particularismes, de faire évoluer les personnages dans un cadre qui participe pleinement au récit. Line Alexandre a établi cette fois son quartier général à Bastogne, haut lieu de la mémoire de la Seconde guerre mondiale et de la mondialement célèbre bataille des Ardennes. Elle y fait évoluer un trio d’enquêteurs que ses lecteurs connaissent bien pour les avoir rencontrés précédemment : la juge Gabrielle Werner, l’inspecteur Evariste Joris et l’ex-commissaire Ravel.
C’est à l’intérieur même du War museum, à l’ombre du Mardasson, que le gardien des lieux vient de découvrir le cadavre d’une jeune femme, juché sur la tourelle d’un tank et habillé d’un treillis militaire. Cette mise en scène macabre, qui incruste le crime dans un décor qui évoque un conflit meurtrier, impose le mystère qui va entourer l’enquête jusqu’à son terme. Car la victime supposée n’est pas reconnue par le mari amené sur les lieux avant que l’on que l’on découvre un second corps, celui d’une jeune femme, lui aussi inséré dans une reconstitution du musée. Il faudra de la ténacité, de la patience et de la ruse aux enquêteurs pour démêler les fils de cette intrigue qui révèlera le lien avec un troisième meurtre, d’une femme encore. Et une sombre affaire de règlements de comptes croisés, savamment prémédités, associée à une méprise, qui finit par expliquer ce triple féminicide.
Comme dans les autres romans de Line Alexandre, l’intrigue policière est l’occasion de développer la complicité fraternelle qui règne au sein du trio à la manœuvre, de suivre en filigrane l’évolution de chacun, les résonances que suscite en eux chaque étape de l’enquête, tout en s’autorisant des incursions dans leur vie privée, leurs déboires et espoirs amoureux. Oscillant entre rudoiement et tendresse, ceux-là sont unis comme les doigts de la main, ce qui leur permet d’affronter dignement la bassesse humaine et de miser sur le potentiel de chacun. Le déroulement de l’enquête donne l’occasion d’une visite minutieuse du musée, avec le détail de sa scénographie. Dans La fille dans la tourelle, nous est rendue aussi l’ambiance de la petite ville ardennaise à quelques jours de fêtes de fin d’année et l’autrice met un soin particulier à décrire le public qui fréquente le War museum : des Américains, bien sûr, des groupes scolaires, mais également une faune de collectionneurs qui s’y donnent rendez-vous en habits militaires avec des véhicules militaires d’époque restaurés et qui sillonnent les routes de la région. L’enquête proprement dite prend forme romanesque menée par une plume fluide et élégante, puisant dans les ressources et les spécificités d’un lieu et faisant une place généreuse aux relations humaines tout en mettant subtilement à jour les mécanismes complexes du féminicide. Que demander de plus ?
Thierry Detienne pour Le Carnet et les Instants
La fille dans la tourelle, de Line Alexandre (coll. Noir corbeau), est disponible en librairie et sur notre e-shop :