Chapelet de crimes au monastère
Que peut la justice des hommes là où prévaut celle de Dieu ?
Voici une enquête policière qui vous offre une visite dans le monde clos de la vie monacale. Le corps d’un jeune novice vient d’y être retrouvé sans vie. Le médecin attitré du couvent qui vient constater le décès émet des doutes quant aux causes de la mort, mais l’insistance du prieur le persuade d’en rester là. Lorsque de nouveaux faits sanglants surviennent peu après, le secret ne peut être gardé : deux autres frères se retrouvent hospitalisés et la police ouvre une enquête. L’intrusion des forces de l’ordre dans cet univers coupé du monde bouleverse le cours des choses. La vie y est d’ordinaire vouée à la prière et au silence, les conversations sont réduites au minimum, les offices ouverts au public sont les seuls moments de contact avec l’extérieur. C’est dire si les langues ne sont guère promptes à se délier face au commissaire Philippe Légaut qui est en charge de l’affaire et qui représente la justice des hommes là où prévaut celle de Dieu.
Mais l’émoi qui gagne la communauté est propice à révéler les tensions enfouies qui s’expriment malgré le silence. Celles qui entourent l’évolution toujours à la baisse des postulants, le relâchement des mœurs, celles qui portent sur les modalités d’accueil des rares novices, objets de toutes les attentions, voire convoitises. Sans parler des ressentiments vifs qui naissent de la promiscuité et qui sourdent entre ces hommes âgés et souvent aigris, plus prompts à assurer leur confort qu’à pratiquer l’ascèse, tout en sauvant les apparences. Et puis il y a d’autres menaces, externes celles-là, qui proviennent d’en-haut, de l’Union européenne, du Vatican, de la direction centrale de l’ordre. Elles touchent à des accusations de complicité de l’ordre religieux qui aurait offert l’asile à d’anciens responsables SS à l’issue de la Seconde guerre mondiale. Et comme les frères abandonnent l’usage de leurs nom et prénom en entrant dans les ordres où ils mènent une vie recluse, la discrétion est optimale.
Le commissaire Légaut aura fort à faire pour percer le mystère. Il lui faudra d’abord comprendre la vie monacale, ses us et coutumes, son jargon propre, les références bibliques permanentes. Il devra aussi faire preuve de patience, tenir compte du rythme de vie spécifique, des liens hiérarchiques internes. Il finira par gagner la collaboration du prieur, qui a perdu la maîtrise de la conduite de ses pairs. Son enquête le mènera de Bruxelles à Liège, et jusqu’en Ardenne, pour consulter des archives ou recueillir des témoignages. Et surtout, il sera témoin de la vie intense qui anime la communauté au cours de la semaine sainte, qui précède la fête de Pâques, point d’orgue de l’année liturgique qui livrera aussi la vérité sur les crimes commis.
Premier roman richement documenté, ce thriller monastique est né de la plume d’un historien qui ne manque aucune occasion de nous instruire. Il le fait avec tact, adoptant volontiers la posture d’un ethnologue au chevet d’une peuplade menacée par la vie moderne. Benoît Goffin tient le lecteur à sa merci et son écriture soignée et tendue y contribue largement, d’autant que s’y faufile un humour sans relâche et finement distillé qui finit de faire de ces Messes amères un épais missel que l’on ouvre volontiers pour le siroter jusqu’à la lie.
Thierry Detienne pour Le Carnet et les Instants
« Messes amères » de Benoît Goffin est disponible en librairie et sur notre e-shop :