Barreurs de feu, magnétiseurs, exorcistes…Plongée dans l’invisible

Dans un monde où la science semble tout expliquer, il reste des mystères qui défient la raison. Pendant six ans, le journaliste Philippe Carrozza a exploré l’univers discret des rebouteux. Dans son livre Saints et Guérisseurs, il plonge au cœur de pratiques anciennes, entre foi, tradition et quête de sens.

Une brûlure soulagée grâce à l’intervention d’un “barreur de feu”. Intrigué par cette ex-périence vécue, Philippe Carrozza, journaliste au quotidien belge L’avenir, choisit de plonger dans l’univers des rebouteux. « Je me suis rendu compte que ça fonctionnait, se souvient-il. Comme il s’agit d’un phénomène de société, j’ai décidé d’enquêter. Je ne savais pas par où commencer ni dans quoi je m’embarquais. J’ai insisté auprès de la barreuse de feu qui m’a soulagé pour la rencontrer, et je suis finalement resté deux heures chez elle. » C’est de cette manière que débute son travail de six ans, avec une centaine de personnes interviewées. « Il n’y a pas d’annuaire de rebouteux. C’est un monde fermé et discret », précise-t-il. Pour débusquer les charlatans, il se fixe des critères pour reconnaître les fiables. « Ils ne se font pas payer, n’interfèrent pas avec les traitements médicaux et ne proposent pas de potions magiques. » Au cours de son parcours, il établit certains points communs entre eux, notamment leur humilité profonde et leur dévotion à soulager les autres. Selon lui, il faut présenter certains traits de caractère au départ pour devenir rebouteux, tel que l’altruisme et l’empathie.

Soulager dans la foi et la discrétion

Pour soulager les douleurs, le rebouteux prie les saints. Généralement, les prières se transmettent dans la famille de génération en génération. C’est le cas de Béatrice Lecocq, qui tient son don de son père. « Il m’a transmis ses prières, mais je n’ai pu les utiliser qu’à sa mort. C’est un secret familial, je n’ai pas le droit de les partager avec d’autres. À mon tour, j’ai prévu de les transmettre à ma nièce, car je sens en elle qu’elle est apte à les recevoir. » Cependant, il n’est pas rare que les prières soient transmises d’un guérisseur à un autre, par le biais de rencontres. Marie-France, guérisseuse, a ainsi reçu la sienne d’une femme qui l’a soignée pour une douleur dentaire. « Elle m’a transmis une prière, et maintenant je la modifie pour qu’elle s’adapte à différents maux. Je n’ai pas reçu de code de conduite en particulier, simplement de garder bonne conscience, d’être juste. Je partage cette prière et ce n’est pas parce que je le fais que ça ne marche plus. » Les prières des guérisseurs ne suivent pas toujours des rituels fixes, ce qui souligne la dimension personnelle et intuitive de ces pratiques.

Les rebouteux sont capables de soulager tous types de maux. Certaines guérisons peuvent être réalisées à distance, comme l’explique Béatrice Lecocq. « Je le fais parfois avec mes prières, notamment pour les hémorragies ou les brûlures. Il suffit que je sache le nom de la personne et où elle habite. Je n’ai besoin de rien, elle doit juste croire en ce que je fais. Sinon, ça ne fonctionne pas. » Chez Ma- rie-France, par contre, cette condition n’est pas nécessaire.

« Même s’ils ne croient pas en ce que je fais, je vais quand même faire mon possible pour les soulager. On me dit souvent que je devrais me reposer. Mais pour être bien, je dois être solidaire avec les autres et les aider. »

Guérisseurs et passeurs d’âme

Outre les guérisseurs, il existe également des magnétiseurs. Ces derniers ne font pas appel à une prière, mais plutôt à l’énergie qu’ils possèdent en eux. Philippe Carrozza a rencontré l’un d’eux, capable de repérer des points de forage à des milliers de kilomètres de chez lui. « Sur base d’un croquis, il peut découvrir des sources d’eau. Il a aussi travaillé avec plusieurs parquets de justice afin de les aider à retrouver des personnes disparues. Il n’est pas en mesure de dire avec précision où se trouve un corps, mais plutôt de donner des indications sur l’environnement qui l’entoure », raconte-t-il. Cette collaboration témoigne d’une ouverture progressive de la société. Il existe d’ailleurs de nombreux hôpitaux qui font appel à des barreurs de feu. C’est le cas de Béatrice Lecocq, qui soulage les douleurs de patients en cancérologie.

Beaucoup de rebouteux affirment aussi pouvoir aider les âmes errantes à passer dans l’au-delà. Marie-France, par exemple, ressent cette aptitude depuis la mort de sa grand-mère. Selon elle, les passeurs d’âmes interviennent pour aider celles qui sont décédées violemment. « Les âmes qui ne montent pas, ce sont les morts soudaines, les accidents ou les suicides. Elles ne réalisent pas qu’elles sont mortes, elles ne sont donc pas prêtes à partir. » La praticienne ressent la présence de ces âmes errantes. « Parfois, je croise une personne dans la rue et je sens qu’elle est accompagnée d’entités. Alors, je fais ma prière pour la soulager. Ce n’est pas une demande, ce n’est pas pour avoir un merci, c’est juste une question d’entraide. »

Le rôle des exorcistes

En enquêtant, l’auteur a récolté de nombreux témoignages impressionnants. « Une dame m’a raconté qu’une maman décédée avait voulu protéger son bébé, mais son âme puisait en fait dans l’énergie du nourrisson et l’épuisait. La passeuse d’âme a fait une prière, et l’enfant s’est rétabli. » Bien que la plupart des âmes errantes soient bienveillantes, Marie-France a déjà été confrontée à des entités négatives. « Quand c’est le cas, j’appelle une amie pour qu’elle s’en occupe aussi. Je fais le nécessaire, mais je lui demande de vérifier que c’est bien parti et que je n’ai rien récupéré sur le dos. Il faut savoir se protéger et ne pas entrer dans des pratiques qu’on ne maîtrise pas. »

Pour approfondir son investigation, Philippe Carrozza s’est entretenu avec quatre prêtres exorcistes. L’un d’eux a accepté de se confier anonymement. Selon lui, les manifestations du mal peuvent prendre différentes formes.

« Il existe des personnes infestées, poursuivies par une force négative, et d’autres possédées, privées de leur liberté. La possession, c’est extrêmement rare, ce n’est pas comme dans les films. Je n’ai peut-être rencontré qu’un seul cas, et encore, je ne suis pas certain. »

Portes ouvertes

Les séances d’exorcisme nécessitent plusieurs rendez-vous. « Cela ne se fait pas en un coup de baguette magique. On essaie de comprendre quelles portes ont été ouvertes. Ces portes peuvent être des blessures profondes dans leur vie, des mauvaises relations ou encore des pratiques qui les exposent au mal. » Selon lui, les rebouteux et passeurs ne relèvent pas d’un pouvoir divin. « Ce qu’ils font, ça s’apparente à de la magie, pas à l’œuvre de Dieu. Ils prennent des risques car ils ouvrent eux aussi des portes sans avoir la capacité de les refermer. Il n’y a que Dieu qui puisse libérer. »

Quelles que soient les croyances, l’enquête de Philippe Carrozza met en lumière l’aspect universel de ces pratiques. « En Afrique, ces figures sont appelées sorciers, en Asie, chamans. Les procédés varient, mais la volonté de guérir transcende les cultures. » Ces récits rappellent qu’au-delà des sciences et des certitudes, subsistent des mystères qui échappent à la raison.

Alexandra TEKLAK (L’Appel)

« Saints et guérisseurs réédition » de Philippe Carrozza est disponible en librairie et sur notre e-shop :

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