Au vert pays d’Aubain
« La Morsure du feu », lu pour Le Carnet et les Instants
Premières images de La morsure du feu : un matin de septembre 1929, où « la campagne ruisselle de soleil. Il y a plein de papillons et quantité de petites sauterelles, des chants d’oiseaux ; les hirondelles plongent vers l’eau pour en avaler une goutte au passage puis rebondissent en plein ciel, signant une arabesque fulgurante entre les ramures des aulnes et des saules. L’été jette toutes ses dernières forces en septembre ».
Première rencontre avec Aubain, bientôt quinze ans, « militant de l’école buissonnière » (il ferait volontiers aussi l’église buissonnière !), vagabondant par les prés, les bois et surtout les rives de la Lesse, « confidente de ses rêves et de ses peines », au grand dam de sa mère, Fine, qui le traite de vaurien, de graine de bandit. Avec son père, Mathieu, qui se montre plutôt bienveillant, il travaille au bois, bûcheronnant sans enthousiasme !
Aubain, habité par des sentiments et des impulsions contradictoires, confronté à sa part rebelle et féroce qui le talonne, et qui le pousse à nuire et à blesser, a l’impression d’incarner deux êtres dissemblables dont l’un est l’ombre de l’autre.
Hanté par la pensée d’un frère aîné qu’il n’a pas connu, Albin, disparu, petit garçon de quatre ans, au début de la Grande Guerre, mais pour qui Fine, refusant de désespérer, pose chaque jour une quatrième assiette sur la table.
Autour d’Aubain, Jules Boulard nous rend très présents des personnages pittoresques, attachants.
Toine, le Bracq’ni (le braconnier), expert dans l’art de piéger les grives, qui retrouve en ce garçon, différent des autres, un peu de son enfance : « L’école comme les usages comptaient pour guigne à côté de la grande liberté des champs, des bois, de la rivière, de la nature. »
La vieille chevrière, Marie-des-gattes, son bon génie, qui lui a appris tant de choses, l’entoure d’une amitié précieuse, mais qui s’éteint. Il découvre qu’elle lui a légué deux livres, qui lui ouvrent un monde. Il comprend qu’on peut trouver, au creux des pages, comme au bord de la rivière, de merveilleux moments « d’échappée belle ».
Le vieux rémouleur, Anselme, philosophe à ses heures.
Firmin, le maréchal-ferrant, prêt à lui apprendre son « beau métier ».
Edouard, dit l’Irlandais, qui habite la grande maison grise derrière une grille, le long de la rivière, se plaît à accueillir Aubain, devine en lui un talent, l’encourage à dessiner, à sculpter.
Sans oublier deux figures féminines : la jeune et blonde Fanny, amie complice, qui se fait appeler la fée Viviane, et sa maman, Louise, tendre et capiteuse. Rieuse et séduisante.
Au fil des saisons, les histoires se nouent, les événements s’enchaînent, parfois saisissants, les couleurs alternent, dans un roman touffu, joliment écrit, prenant, débusquant au fond des êtres la part du feu qui brûle et mord.
Une intuition : nous n’oublierons pas Aubain.
Francine Ghysen pour Le Carnet et les Instants :
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