Annexés, ils ont refusé de servir le régime hitlérien
Annexés par le IIIe Reich du 18 mai 1940 au 11 septembre 1944, Beho et ses cinq villages sont soumis aux dures règles du régime hitlérien, ainsi qu’aux contraintes de la nazification. Joseph Neysen nous raconte les destins tragiques des réfractaires, résistants et prisonniers politiques de la commune.
La nouvelle commune
Le 15 août 1940, le Kreisleiter Gabriel Saal tient une réunion chez Faber-Schütz pour informer la population de la politique du NSDAP et de la nouvelle organisation administrative. Les gens sont obligés d’y assister, mais pour activer leur zèle, les Feldgendarmes doivent les réquisitionner. La même situation se répète à Ourthe. Il y est annoncé que la commune de Beho, au nom germanisé en Bochholz, est désormais transférée à Burg-Reuland.
En 1941, le franc belge est remplacé par le « Reichsmark ». Le change se fait sur base d’un RM pour 12,50 BEF. Habitués à faire les achats à Gouvy ou à Vielsalm, avec la nouvelle frontière et sa douane, la chose devient impossible. Les gens doivent donc aller à la gare de Beho et prendre le train pour se rendre à St-Vith, nouveau centre d’achat. Comme la population vit sous le régime du ticket de rationnement, « toute » la production alimentaire (beurre, viande, œufs, pommes de terre) doit être livrée à un Office de rationnement. Sous peine de fortes amendes et avec des contrôles routiers permanents, aucun produit ne peut être vendu à un particulier… du moins en théorie.
D’autres tracasseries administratives plus individualisées apparaissent en 1942. Certaines familles doivent apporter la preuve que, dans leur généalogie, il n’y a pas de traces juives. Selon le curé Jacobs, le livre paroissial des baptêmes de Beho, Liber Baptizatorum, a été emporté en Allemagne pour y rechercher des noms de famille susceptibles d’être en lien avec des familles juives.
Quelques mois plus tard, le livre a été rendu à la cure avec une restauration impeccable de sa reliure.
Les prénoms de baptême sont germanisés, comme le montre l’exemple ci-avant au nom de « Georg, Peter » au lieu de « Georges, Pierre » Noll.
Les jeunes mariés, comme Alphonse Hens et son épouse Suzanne Belhomme, le 27 décembre 1940, reçoivent désormais en cadeau lors de la cérémonie civile, à Burg-Reuland, un exemplaire de Mein Kampf dédicacé par le Führer.
L’administration de Burg-Reuland offre au jeune couple marié Alphonse Théodore Hens et Suzanne Barbe Belhomme, avec les meilleurs vœux pour un mariage heureux et béni…
La mise au pas de l’enseignement
Déjà en 1917, les Prussiens, croyant être établis à tout jamais en Belgique, avaient entamé la germanisation de l’enseignement dans nos communes et l’enseignement du français avait été interdit. Alors, sous la menace de destitution, les instituteurs les plus âgés et les moins habitués à manier la langue de Goethe avaient été invités à suivre des cours de formation, organisés à Arlon et à Welkenraedt. À Beho comme dans les communes voisines, presque aucun ne se conformera à l’injonction, y compris les sœurs de l’école gardienne du village.
Mais le 20 juin 1940, les autorités nazies passent cette fois à la vitesse supérieure. L’Amstburgermeister de Burg-Reuland, Mulack, accompagné de deux feldgendarmes, fait enlever dans les écoles les crucifix et les photos des souverains pour les remplacer à l’avant du local de classe par une photo de Hitler et à l’arrière par le portrait de Göring. Les croix sont jetées dans une écurie (et récupérées aussitôt par la population). Peu après, la Gestapo vient s’informer de l’emploi des langues à l’église, et le curé reçoit l’ordre de ne plus enseigner le catéchisme à l’école. Par ailleurs, il ne peut plus évoquer le roi et la reine dans ses recommandations aux défunts. Lors des funérailles, le cercueil du défunt doit rester à l’extérieur de l’église.
Le 5 septembre 1940, au début de l’année scolaire, l’école des garçons accueille un nouvel instituteur, Karl Genten, originaire de Schoppen. Pour les filles, la nouvelle institutrice, elle aussi originaire du même village, est mademoiselle Rosa Michels.
Chaque matin, en rentrant en classe, les élèves, au « garde-à-vous », sont obligés de faire le salut hitlérien et de clamer « Heil Hitler ». Mais peu à peu, le salut va se transformer en « Heil Liter ».
La nationalité allemande « à titre révocable »
Si, avant le 10 mai 1940, les « Dix communes » vivent tranquillement sans que le régime nazi ne s’intéresse particulièrement à elles, après l’annexion, c’est le basculement dans un autre monde, surtout pour la jeunesse. Le 23 septembre 1941, le ministère de l’Intérieur allemand émet une ordonnance qui attribue deux statuts différents pour les populations des territoires annexés.
Les habitants des « trois cantons » (Eupen, Malmedy, Saint-Vith) deviennent des Reichsdeutscher, tandis que les habitants de Beho ainsi que ceux des neuf autres communes deviennent, pour une période de dix ans, des « D.a.W », des Deutsche auf Wiederruf (Allemand à titre révocable). (voir exemple en p. 42)
Sur la carte d’identité belge (voir exemple en p. 42) toujours en vigueur, est apposée la mention Gilt nicht in Belgien (« Non valable en Belgique »).
Une nouvelle carte d’identité allemande est émise au mois d’août 1940 et porte la mention Besitz die Deutsche Staatangehörichkeit auf Wiederruf (« Possède la nationalité allemande à titre révocable »). En d’autres termes, les habitants de la commune sont des sujets allemands pour une période de dix ans… tout en restant Belges, car il n’est écrit nulle part, dans les décrets hitlériens, qu’ils perdent leur nationalité originelle. Pour la petite histoire, il faut noter que les Allemands du « Reich » en poste dans l’administration et l’organisation policière locale appellent, par dérision, la commune de Beho… die Kolonie (« la colonie »), ce qui résume bien la situation.
Si cette ordonnance clarifie un tant soit peu la nature de la nationalité, elle porte en son sein une charge aux conséquences terribles : l’enrôlement et l’obligation de servir dans la Wehrmacht. C’est un coup de massue pour toute la population, mais la riposte ne tarde pas. La jeunesse visée par cette mesure va disparaître en Belgique, s’éclipsant dans la nature, dans les fermes ou dans le maquis… ou même en se dissimulant dans le village d’origine.
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