Alain Dantinne, La gravure satanique – AREAW

Un recueil de nouvelles que l’on peut considérer, me semble-t-il, non, point comme une anthologie, mais comme un véritable kaléidoscope de cet écrivain attachant, autant par la vivacité et la finesse de son style, que par la force de ses convictions et le regard aigu qu’il porte aussi bien sur lui-même et la société qui l’entoure.

Une enfance gâtée, trop sage, peut-être, trop catholique et soumise aux conventions, de la morale chrétienne à la morale bourgeoise. Et puis un jour, vous voyez venir, sur terre, des enfants non voulus, qui deviennent chevelus, poètes…A bas la calotte et la calvitie…ce que nous en aurons fait sauter des tabous, bien avant ce mai 68 déjà, qui fut non la cause déterminante, comme l’on t cru bien des gens, mais l’aboutissement, et comme l’épiphanie d’un taedium vitae, d’un dégoût de ce monde où l’on s’ennuie, et la quête incessante d’un autre monde, plus fraternel, celui des mains tendues et des désirs infinis…Non point, non point seulement, la recherche de mondes inconnus, de plongées dans cet inconnu pour y trouver du nouveau, mais bien, au fin fond de cet inconnu, d’une nature qui nous est essentielle et terreau originel. Terreau et non terroir. L’éternel départ et puis l’éternel retour, la quête recommencée, avec tout son poids de nostalgies et de profondeurs insensées. Le retour au quotidien revêche, pour Baudelaire comme pour Rimbaud. Et ce besoin de tout dire, de ne rien cacher. Sans remords et sans honte…

Cette variété un peu époustouflante des sujets traités, en ce recueil, est ainsi réunie. Comme on joint les mains, non pour prier, mais pour recueillir l’eau des sources et des puits, toute sa richesse, sa vivacité. Et l’on ne saurait trop souligner l’étonnante variété des styles ici déployés, depuis les courtes phrases, vives, haletantes presque, de La Fontaine du casino, jusqu’à celles, bien plus contournées, chantournées, ecclésiastiquement correctes, d’Un dîner d’adoration – Flaubert n’aurait pas mieux fait, en sa grasse Normandie. Retour à la concision, aux phrases brèves, haletantes parfois, de cette course à travers le vaste monde, de l’Espagne à l’agonie du franquisme jusqu’à l’Amérique latine, à la pauvreté, à la misère, mais aussi à la fascination, à la rutilance de la misère, bien au-delà du bon sens bourgeois et de ses mélancolies obligées. Et puis, surtout, la tendresse, la déchirante tendresse de ces amours trop tôt perdues, et qui laissent des cicatrices indélébiles. Dans Inverness Castle, p.131 : Ne trichaient-ils pas avec le temps ? Tout ceci ne devait en être qu’une faille. Mais ne cherchaient-ils pas tous deux dans la nuit sombre de l’amour, la persistance d’une faible clarté boréale ? Et la solidarité, avec son frère en détresse, avec tous ces errants croisés sur les grands chemins…Avec, à côté de cela, un sens aigu de la beauté du monde en sa précarité, en son étrangeté, dans la nouvelle éponyme qui ouvre le livre, et où passe le fantôme de Félicien Rops, dans la fine analyse aussi, qui met en parallèle Joachim Patenier et Henri Blès. Quelle maëstria, quelle ironie lorsqu’il dissèque et met en pièces la morale bourgeoise, et les ersatz qu’ont mis au point de faux libérateurs pour la remplacer. Le triomphe du simili ! Mais combien rafraîchissante, en contraste, l’évocation de l’ermite du Lakisse au milieu de ses moutons, auprès de son arbre abattu…

Oui, une extrême richesse, celle d’une vie aventureuse sans concessions, et d’une exigence jamais satisfaite, d’une quête toujours recommencée…

Ils avaient des mallettes de cuir, eux, et des rires de Cheyennes criards. Moi, je devais jouer au petit monsieur le dimanche, je portais une cravate avec un élastique, sur une chemise blanche, à courtes manches, comme les chics types d’avant quarante, les garçonnets de bonnes familles qui se rendent à l’office.
Et voilà. C’est lui. C’est tout lui, comme on dit chez nous. Tout craché.

Joseph Bodson pour Reflets Wallonie-Bruxelles, juin 2023.

Photographie d’entête : Jean-Pierre Ruelle

« La gravure satanique » de Alain Dantinne est disponible en librairie et sur notre e-shop :

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