À l’oreille de l’ermite : Benoît Goffin sans faux pas
Nos auteurs auraient-ils une fascination particulière pour les ermites ? Après Macaire le Copte (François Weyergans, Gallimard, 1981, Prix Rossel et des Deux magots) et Vie et mort de saint Tercorère le Maudit d’André-Joseph Dubois (Weyrich, 2023), voici que Benoît Goffin nous fait vivre quelques années aux côtés d’un autre reclus, le père Elisée qui s’est établi dans la région de Malmedy. Mais ce moine n’a que peu de points communs avec ses cousins du désert. En fait, il n’a opté pour la vie en solitaire qu’à la suite d’un drame qui a touché la communauté monastique dont il était responsable. Une forme d’exil consenti pour tenter de retrouver la paix et ruminer le désastre qui a fait l’objet d’un premier roman du même auteur, Messes amères (Weyrich, 2022). Au centre de ses pensées, la tension irréductible entre la justice divine et celle des hommes. La première, fondée sur le secret de la confession puis le pardon, et la seconde, publique, liée elle à la recherche de la vérité, à sa mise en lumière, puis à la contradiction des points de vue et à la sentence et à la peine qui l’accompagne éventuellement. Conscient de s’être soustrait au regard des autorités, Elisée nourrit peu à peu le projet de reprendre contact avec l’inspecteur de police qui fut son interlocuteur, sans toutefois passer à l’acte avant d’apprendre le décès du policier en lisant une coupure de presse. Il lui reste à porter son fardeau et surtout à accueillir ceux des humains qui viennent frapper à sa porte.
Le roman se nourrit d’une forme de journal dans lequel Elisée consigne ses pensées, relate ses rencontres et surtout ses balades autour de sa demeure singulière, ce qui nous vaut de belles descriptions, notamment de rencontres avec les animaux de la forêt ou avec ses voisins les plus directs. Des visiteurs franchissent le seuil de sa maison, quelques fidèles gravissent le chemin pour assister à l’office, rompant ainsi sa solitude. L’homme inspire confiance, les langues se délient, des courriers lui parviennent et ces confidences qui prennent parfois la forme d’un appel au secours sont souvent porteuses d’énigmes qui éveillent la curiosité de l’homme reclus, le poussant à faire des recherches, à prendre la route. Ceci nous plonge dans le passé d’émigrés russes, dans des archives, dans les violences qui accompagnent la prise d’indépendance des colonies belges en Afrique et bien d’autres secrets qui émergent sans que parfois le confident sache trop quoi en faire. Pour mener ses enquêtes et s’alléger du poids de ces destins torturés, et démêler le vrai du faux de récits embrouillés par l’émotion, Elisée peut compter sur l’amitié sans faille de l’Abbé Forthomme, doyen de Malmedy, un être un rien bourru mais toujours prompt à lui rendre service. Un compagnonnage qui sera d’autant plus précieux lorsque l’ermite sera confronté à la maladie, laissant son ami clore le récit. Ces deux-là aiment faire bonne chère et partager de précieuses bouteilles en devisant librement. Des moments bienvenus qui viennent en contrepoint des longues journées dans l’ermitage isolé. De quoi prendre une juste distance avec les austères et lointains cousins évoqués ci-dessus.
Benoît Goffin a mis son savoir d’historien au service de la fiction et il nous promène dans le temps et l’espace tout en raccrochant le récit au destin mouvementé des cantons de l’Est, cette région où les frontières ont été déplacées. Avec lui, nous sillonnons les vallées et les bois de la campagne malmédienne, poussons la porte d’édifices anciens. Imprégné de culture religieuse, Lueurs d’ermitage n’en est pas pour autant corseté : tout ici renvoie au colloque singulier et libre que chaque être humain entretient avec lui-même et ses semblables, irréductiblement confronté au doute et à la solitude. Et puis il nous faut parler de la belle écriture qui sert ce second roman : la plume de Benoît Goffin glisse sans faux pas, avec une aisance peu commune, puisant dans un vocabulaire étendu pour se déployer en un registre tout à la fois soutenu et sobre du plus bel effet. Bref, de quoi donner envie de goûter d’autres millésimes du même cru….
Thierry Detienne pour Le Carnet et les Instants, 4/6/24
« Lueurs d’ermitage » de Benoît Goffin est disponible en librairie et sur notre e-shop :