À la trouble fontaine

« La Prophétie des nains » lu pour Le Carnet et les Instants

À nous permettre de retrouver des personnages de roman en roman, les auteurs nous les rendent familiers, attachants, et créent une forme de continuité par-delà les contextes les plus variés. Dans L’enclos de fusillés, Line Alexandre nous avait mis en présence de la juge Werner et de l’inspecteur Evariste Joris que nous retrouvons ici avec plaisir. Ils sont à présent appelés dans un petit village de l’Ardenne belge où l’on vient de retrouver le cadavre d’une jeune femme noyé dans une fontaine. Mais rien ne permet de lui attribuer une identité et aucun indice n’apparaît d’emblée.

La juge et l’inspecteur prennent leurs quartiers dans l’auberge proche, qui s’avère être l’épicentre du village. Accueillant les randonneurs et des groupes de motards du dimanche, elle propose un plat du jour simple sous l’œil d’une imposante collection de nains de jardin qui a eu les honneurs du Guinness Book. Son patron bougon et généreux y règne en maître, il compte sur les services de Carola, une jeune femme qui y vit avec sa fille en tentant de repousser son ex qui vient la relancer et qui peut se montrer violent. À proximité, un ivrogne que tout le monde appelle monsieur le Comte et sa vieille maman en fin de vie. Puis deux femmes, une psychiatre atteinte de la maladie d’Alzheimer et sa fille. Tous ont été proches du crime commis et pourraient avoir de bonnes raisons d’éveiller les soupçons, mais chacun reste sur sa réserve, observant les autres.

C’est dans cette atmosphère pesante que les enquêteurs poursuivent leurs travaux, avec un sentiment d’enlisement qui ne dit rien de bon et qui ajoute à la tension. S’ajoute à ceci qu’Evariste Joris a été patient de la psychiatre et qu’il n’en dit mot tout en s’empressant de s’emparer en douce de son dossier. Ce qui lui vaudra, une fois démasqué, de devoir quitter la première ligne alors que le mystère s’éclaircit. Et lorsque deux autres personnes parmi ces villageois sont retrouvées mortes, la pression sur les enquêteurs ne fait que croître sous l’œil moqueur des nains omniprésents. Jusqu’à ce que l’on trouve l’identité de la victime et que se dessinent peu à peu les raisons pouvant expliquer sa présence en ce lieu pour aboutir, au terme d’un parcours incertain, à ce que la vérité éclate aux yeux de tous.

La prophétie des nains saisit à merveille le huis clos villageois qui embrume le meurtre à élucider. La galerie de portraits qui en résulte est croustillante de vérité et troublante d’humanité, illustrant bien à quel point toute enquête policière déboule dans l’intimité des personnes, mettant à jour les bassesses, petites et grandes, entre lesquelles les enquêteurs doivent faire le tri. Elle souligne aussi les entrechocs inévitables entre la vie privée des enquêteurs et la dynamique propre de l’énigme, dont la difficulté pour un inspecteur métis ou une femme juge de faire leur place, plus encore parmi les leurs que face au conservatisme rural. Ajoutez à ceci que la plume de Line Alexandre trace son chemin avec aisance, tantôt tendre, tantôt féroce et le plus souvent drôle, et vous comprendrez aisément que nous tenons là un roman policier dont l’autrice fait mouche une fois de plus et qui trouve naturellement sa place dans la collection « Noir corbeau ».

Thierry Detienne pour Le Carnet et les Instants :

« La Prophétie des nains » de Line Alexandre est disponible en librairie et sur notre e-shop : 

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