Le canon gronde, la cloche sonne

Les affamés, de Francis André, a été publié pour la première fois en 1931 à Paris, à la Librairie Valois, réédité en 1985 par les Éd. L’Ardoisière et W’Allons-Nous?, et est à nouveau disponible grâce aux éditions Weyrich qui le proposent dans leur belle collection Regains. Regains, un mot qui évoque Giono, sont ces herbes qui repoussent après une fauche et désignent par extension la renaissance d’un intérêt en sommeil… Leur collection si bien nommée se concentre donc sur des textes édités autrefois, parfois oubliés, mais toujours dignes d’intérêt.

Au pays de mon pèreAprès avoir accueilli un premier titre, Au pays de mon père, d’Omer Marchal, les initiateurs de la collection Regains ne pouvaient être mieux inspirés en proposant un roman de Francis André, parfois qualifié de poète paysan, en référence aux titres de son œuvre poétique et à sa biographie. Né en 1897 de petits propriétaires terriens, il quitte l’école à… 11 ans pour aider aux travaux des champs. Autodidacte, il s’engage en littérature prolétarienne, rejoint des mouvances socialistes et est aveuglé par les dérives fascistes d’Henri De Man dans les années trente, ce qui lui vaudra une condamnation à trois ans de prison et la vente de ses terres. L’écrivain prolétarien devient, notamment, bûcheron pour vivre.

Les affamésC’est précisément autour d’un groupe de bûcherons que s’ouvre le roman Les affamés. Ces premières pages plongent d’emblée dans un univers rude, viril, nourri d’une sorte de fraternité mâle, en butte et en lutte avec une nature sauvage mais respectée. Aux coups de haches, répond la voix d’un canon. Déjà guerre et paix se côtoient. Et le chapitre se termine sur le départ des jeunes hommes en déportation.

Francis André s’inspire de sa détention au camp de Cassel durant l’hiver 1916-1917 pour décrire le quotidien lugubre de ces déportés dans la force de l’âge que la fatigue, le froid, la faim, la soif, le vent, les maladies, les fièvres vont détruire à petit feu. À cette dégradation physique s’ajoutent de lents effondrements intérieurs qui vont les réduire à une irrémédiable animalité. La saleté, les puanteurs, la nuit, le vent, le gel, les ravages de la dysenterie sont coulés dans une écriture physique, qui essaie de matérialiser tous ces ennemis de l’homme avec une force expressive rare. Comme lorsque l’écrivain évoque la nuit qui « s’en vint rôder la nuit sur les collines ». Ou « le travail de la bûcheronne noire » quand il se souvient de la lente agonie d’un compagnon à ses côtés.

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Article signé Michel Torrekens pour Le Carnet et les Instants

Source: https://le-carnet-et-les-instants.net/2016/12/19/andre-les-affames/

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