Weyrich ne sera pas à Foire du livre à Bruxelles
Exceptionnellement, notre maison d’édition ne sera pas à la Foire du livre de Bruxelles cette année. Son éditeur, Olivier Weyrich explique les raisons qui ont présidé à ce choix.
Vous avez décidé de ne pas participer à la Foire du Livre de Bruxelles cette année.
Pour quelles raisons ?
La maison d’édition est en transformation ; elle a déménagé l’an dernier et se réorganise autour d’une solution d’impression digitale à la demande. L’heure n’est pas à chercher de la visibilité à la Foire du livre, mais de nous concentrer sur notre transformation.
Par ailleurs, il y aura quatre ans le 21 mars prochain, nous étions victimes d’un incendie qui a ravagé notre stock de livres. À l’heure actuelle, nous nous battons toujours pour obtenir une juste réparation des dommages que nous avons subis. C’est une épreuve terrible ; la maison d’édition souffre beaucoup de cet accident et de ses conséquences.
Tout le secteur de l’édition souffre énormément, la Belgique francophone n’échappe pas à ce constat. Pourquoi cette crise frappe-t-elle si sévèrement l’édition et quelles en sont les causes ?
Les causes sont nombreuses : l’augmentation des coûts des matières premières et des transports, ensuite la transformation brutale du marché du papier dès 2019. Certaines usines ont décidé de fabriquer du carton au détriment du papier. La demande de carton a explosé depuis l’envolée des ventes sur Internet. Le nombre de colis sur les routes n’a jamais été aussi important. En conséquence, les prix du papier ont littéralement décollé pour atteindre les 1600 euros la tonne. Aujourd’hui, elle avoisine les 800 euros la tonne.
Par ailleurs, le réseau des librairies n’est pas en bonne santé, très impacté par la disparition des centres commerciaux au cœur de villes, mais aussi par la concurrence féroce de l’e-commerce. Le métier de libraire est très exigeant et de moins en moins rémunérateur. Ces commerçants sont généralement très travailleurs et passionnés par leur métier, mais ils gagnent de moins en moins bien leur vie. Rien d’étonnant à ce qu’ils finissent par baisser le volet définitivement.
Le coût de la vie a fortement augmenté depuis quatre, cinq ans ; mais le prix de vente du livre n’a pas suivi. Le marché a tenté d’absorber les coups de boutoir, mais le secteur ne se transforme pas assez. Le prix actuel du livre ne peut plus faire vivre autant d’acteurs sur la chaîne du livre traditionnelle. Le livre fait encore beaucoup rêver, voire fantasmer, mais il a raté un virage. Les marchés de la musique, de la chanson, du cinéma… se sont fortement transformés. Ils ont évolué pour rester rémunérateurs et prospères. Ce que je dis n’est pas agréable à entendre, mais la réalité : notre société a raté quelque chose d’important. Nos jeunes consacrent plus de temps sur leurs téléphones portables que dans des livres. Or, rien n’est plus instructif, formateur et passeur de savoir qu’un livre. Quelle autre création que le livre ouvre une porte aussi efficace qu’extraordinaire sur l’imaginaire ?
Quelles solutions, ou pistes vers des solutions, voyez-vous ?
Aujourd’hui, un livre à 20 euros devrait être vendu à 30 euros pour que tous les acteurs de la chaîne puissent être rémunérés… Si l’on n’est pas prêt à faire cet effort, la chaîne va se séparer de certains de ses opérateurs. Je crois que c’est ce qui se passe, petit à petit et douloureusement. Nous ne sommes sans doute qu’au début du processus de transformation.
Pensez-vous que la politique menée par le Fédération Wallonie-Bruxelles en la matière soit efficace, pertinente, responsable ?
Le soutien à l’édition est trop frileux. Dans la vie comme en politique, tout est une question de choix. Le secteur du cinéma a montré qu’il était possible d’être prospère en Belgique, pourquoi le livre ne pourrait pas en faire autant ?
En comparaison, les maisons d’édition françaises semblent bénéficier d’une politique culturelle vigoureuse, très entreprenante. Pourquoi cette différence ?
L’édition en France bénéficie d’un socle plus solide d’abord parce que son marché du livre est beaucoup plus vaste que celui de la Belgique francophone. Ensuite, la France investit et soutient la culture parce que celle-ci fait rayonner l’image de la nation française bien au-delà de ses frontières.
Quels sont, selon vous, les principaux freins à une véritable politique ou stratégie culturelle en Fédération Wallonie-Bruxelles ? Est-ce qu’on se repose trop sur les Français pour occuper ou monopoliser le secteur ?
Il faut commencer par reconnaître la qualité de la production littéraire belge. Malheureusement ce n’est pas demain que l’on cessera de se mirer dans la lumière parisienne qui détourne beaucoup de nos talents. Nous manquons de fierté, est-ce l’un des syndromes des petits pays ? Je ne sais pas… Par contre, je sais que nous avons de bons talents et de bonnes plumes. N’attendons pas que les pouvoirs publics nous sauvent, commençons par lire massivement les auteurs belges.
Les grandes enseignes, comme la Fnac ou Club, présentes en Belgique mettent en avant surtout les éditeurs français et donc essentiellement les auteurs français.
Oui, c’est très regrettable. Mais ces enseignes ne sont plus les références qu’elles ont été, ce ne sont plus des libraires, ce sont des logisticiens qui gèrent des stocks de livres comme ils gèrent des stocks de chaussures.
Pensez-vous qu’introduire les auteurs belges dans le programme du cours de français, aux côtés des grands classiques français, permettrait de créer de l’attrait pour la littérature belge francophone ? Est-ce une piste ?
Il faut que nos élèves lisent davantage les auteurs belges, c’est certain. Il faut également inviter beaucoup plus souvent ces auteurs en classe. D’une manière générale, ils n’ont pas la visibilité qu’ils méritent, que ce soit dans les écoles, dans la presse, ou dans certaines librairies et bibliothèques.
Cette politique culturelle minimaliste trouve-t-elle sa raison dans un manque d’identité, laquelle à son tour provoquerait un manque d’intérêt pour nos auteurs ?
On peut le croire, mais c’est sans doute prendre un sacré raccourci. Il faut appliquer à la culture la même recette que celle poursuivie par les pouvoirs publics pour développer la pratique du sport. Il faut investir durablement dans des infrastructures adéquates et modernes, et il faut que le public accepte de payer le prix juste pour « pratiquer la culture » comme on le fait pour « pratiquer le sport ». Le monde culturel vit trop au dépend des subventions qu’il reçoit. Si nous voulons davantage de culture, il faut y mettre le prix et à mon avis, cela vaut autant pour les pouvoirs publics que les familles et les individus que nous sommes.
Les crises budgétaires ont toujours sacrifié les secteurs comme la culture (le livre en fait partie) sur l’autel de l’économie. Pensez-vous qu’à court comme à long terme, ce soit judicieux ? Par référence à l’adage qui dit « Si vous trouvez que la culture coûte cher, essayez l’ignorance » ou par rapport à cette réponse faite par Churchill quand on lui proposait de couper dans le budget de la culture « Mais alors, pourquoi nous battons-nous ? ». La culture et ses voies de diffusion sont-elles encore une priorité ?
La réponse est dans la question… Si la culture a de la valeur, alors elle a aussi un prix. Mais j’ai le sentiment qu’on a beaucoup de mal à activer cette dynamique vertueuse, comme si on ne pouvait pas faire de commerce et d’argent avec la culture. Il suffit d’utiliser le mot « business » dans les milieux culturels pour que l’on se mette à hurler. Ce n’est pas le cas dans le cinéma, ni dans la chanson…