Démêler le chaos du monde
Le nom de Colette Braeckman est intimement lié au quotidien Le Soir, pour lequel elle travaille depuis des décennies, et au Congo, ce pays dont elle a acquis une connaissance incontestable depuis de nombreuses années. Elle vient de publier un ouvrage imposant dans lequel elle nous livre pas à pas son itinéraire de journaliste, avec un souci de faire mémoire nourri d’une sincérité peu commune.
Avant de passer en revue son parcours professionnel, elle prend soin de s’attarder sur ses racines familiales, qui ont façonné sa personnalité. Elle évoque pour nous une famille catholique aimante, un père très tôt décédé, la précarité financière qui s’ensuivit, lui fermant les portes de l’université. Mais aussi son attirance précoce pour les pays lointains, sa fascination pour les premiers Africains croisés, son goût de la lecture. Et surtout son envie très précoce d’écrire, la volonté de le faire à tout prix, la chance saisie d’être publiée d’abord dans La Cité, où elle assure des rubriques diverses. Le temps de saluer les confrères qui lui ont fait confiance, dont Ghislain Cotton, qui lui prodigua sa gentillesse légendaire. Puis son arrivée au Soir, sa progression vers les domaines d’expertise dans lesquels elle s’est forgé une réputation solide.
Les traits de la personnalité que nous lui connaissons se dessinent au fur et à mesure de son récit. Il y a de toujours chez elle un goût particulier pour le travail de « terrain » : le recueil en direct et le croisement des informations, quelles que soient les situations. Et puis une volonté de dépasser les évidences, celles qui conduiraient à la simple reprise du message voulu par ses interlocuteurs, au profit d’une analyse qui globalise les enjeux. Quitte à s’exprimer à contre-courant comme elle le fit lorsqu’elle rédigea un article désormais célèbre, « Je n’ai rien vu à Timisoara », alors que la plupart de ses confrères se contentaient d’offrir une caisse de résonnance à ce qui s’est avéré être une communication de pure propagande. C’est avec la même indépendance d’esprit qu’elle rend compte de l’actualité en Afrique centrale grâce à un réseau de contacts qu’elle active en continu lors de ses nombreux voyages, y compris et surtout lorsque la région est à feu et à sang, par exemple lors du génocide rwandais.
Dans Mes carnets noirs, Colette Braeckman souligne l’évolution des choses, ne masquant pas ses erreurs d’appréciation ni surtout la façon dont certains interlocuteurs porteurs d’espoir sont devenus infréquentables à mesure qu’ils se rapprochaient du cœur du pouvoir. Tout en n’oubliant pas de nous livrer une analyse sans concession de la politique belge face à ses anciennes colonies, la difficulté d’assumer aujourd’hui un passé remis en question, toutes choses qu’elle développe également dans ses contributions à des revues et dans les nombreux ouvrages qu’elle a publiés.
Enfin, derrière la journaliste rigoureuse, nous rencontrons une femme engagée, qui ne confond pas objectivité et neutralité, qui prolonge l’écriture dans l’action et illustre à souhait la démarche qui unit ces deux étapes. C’est sans nul doute son professionnalisme, sa cohérence et sa sincérité qui lui ont valu une estime peu commune, y compris de la part de ceux que ses propos ont malmenés quand elle le pensait justifié. Au terme de ce fort volume, porté par une écriture de qualité et débordant d’anecdotes, nous avons sillonné le monde, parcouru plus d’un demi-siècle d’histoire commune, survolé les évolutions de la profession de journaliste et senti battre le pouls du monde aux côté d’une grande dame de la presse belge.
Thierry Detienne pour Le Carnet et les Instants
« Mes Carnets noirs » de Colette Braeckman est disponible en librairie et sur notre e-shop :